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Surveillance électronique pénale / Son statut, son sens, ses effets

Par Tony Ferri
Paris : Les Éditions Bréal. 2017.

Il est surprenant qu’une personne qui se définit d’abord et avant tout comme « un philosophe », ce qui est le cas de l’auteur de ce livre, Tony Ferri, soit un auteur qui travaille comme praticien au sein du ministère français de la Justice (Paris) à titre de conseiller d’insertion et de probation. Toutefois, c’est précisément ce qui rend ce livre particulièrement intéressant pour ceux et celles qui travaillent au quotidien dans les services pénitentiaires et autres services liés aux solutions de rechange à l’emprisonnement, telle la probation, la libération conditionnelle, la surveillance électronique, les maisons de transitions pour ex-détenus …

Le livre de Ferri est fort succinct. À « petit » livre, vraiment petit, soit un 104-pages, format réduit, une « courte » recension est de mise. Courte peut-être, mais reflétant tout de même un thème criminologique important depuis 10 ou 15 ans en Amérique du Nord et en Europe, celui de la surveillance électronique pénale. Ce livre est écrit « à la Foucault ». Écrit par un spécialiste des pénalités contemporaines et praticien de la criminologie appliquée, cet ouvrage propose une description minutieuse des rouages des dispositifs de la surveillance électronique pénale. Distinguant les différentes formes juridiques, pénitentiaires et pratiques de la surveillance électronique actuelle, dont les sigles connus sont ceux du PSE, PSEM et ARSE, l’auteur décortique et évalue son statut, son sens et ses effets à l’égard des porteurs de bracelets eux-mêmes.

Outre la matérialisation de la nature de cette surveillance particulière, l’apport instructif de ce livre réside à la fois dans une immersion au cœur des pratiques du contrôle pénal d’aujourd’hui, et dans l’exposition des conséquences d’un enfermement devenu structurel et élargi à la société, d’où le lien avec les écrits du philosophe Michel Foucault, en particulier dans son livre relativement célèbre: « Surveiller et punir », paru en 1975. Le lecteur éventuel de ce livre pourra donc y trouver une réflexion « très » critique de cette peine de remplacement à l’emprisonnement.

Signalons en particulier une « Dédicace à tous ceux qui aiment leur métier » où l’on retrouve une réflexion fort pertinente à mon avis pour tout praticien de la justice pénale, que ce soit un juriste, un criminologue, un administrateur de prison, un praticien des « alternatives » à l’emprisonnement … « Quand on aime son métier, on ose le critiquer », nous dit l’auteur avec propos et conviction. « Quand on refuse à critiquer l’emploi occupé, consciemment ou inconsciemment, c’est très souvent le signe d’un amour-propre, parce qu’on renonce à s’adresser des reproches par crainte de voir son image entachée d’un indice d’horreur ou de dégoût. Ceux qui défendent leur petite chapelle professionnelle sont des hypocrites, des vaniteux, des menteurs », toujours selon l’auteur, dès la page 7. Les mots et les expressions sont relativement « durs » et « crus », mais elles proviennent d’un praticien qui n’a pas peur de dire sa pensée.

Et l’auteur de poursuivre en soulignant que dans le secteur privé, l’encensement de l’activité professionnelle provient d’une logique de marchandisation, de concurrence et de performance. Il s’agit de croire et de faire croire que l’entreprise à laquelle on appartient est la meilleure dans son domaine. Il faut bien ici que l’offre s’adapte à la demande, qu’elle attire à elle, la développe par opérations de communication, manipulation de masse, publicité. Dans le secteur public, en revanche, dit l’auteur, un secteur qui échappe, en partie, à la logique de la domination économique, l’excès de flatterie professionnelle vient du carriérisme, de l’égoïsme, de la volonté de pouvoir, du soin, apporté par chacun pour soi-même, pour obtenir de plus grandes garanties statutaires et de plus grands avantages indiciaires ou matériels. « Autrement dit, dans le registre professionnel, c’est rarement la vertu qui prime, et c’est pourquoi il y a lieu de considérer toute occupation d’un poste, à commencer par celui de cadre, comme d’emblée ou à priori douteuse, comme l’expression inavouable d’un plan personnel de carrière » (p. 8). Évidemment, l’auteur est un peu trop « angélique » lorsqu’il ajoute que: « Ainsi est-ce par amour de son travail qu’on le critique, et est-ce par amour-propre qu’on l’exalte.

En fait, pour espérer obtenir quelque amélioration morale, pour favoriser l’émergence d’une justice au sein de la sphère professionnelle, il faudrait, à l’inverse, oser dire non, valoriser le refus, avoir le courage de critiquer, non pas au sens de l’esprit de critique qui n’est que médisance et retour à l’amour-propre, mais au sens de l’esprit critique, qui sait faire tout autrement preuve de discernement et de jugement, qui vise à l’honnêteté intellectuelle, qui marque l’étape d’une crise et le besoin crucial d’un changement positif ». « Il est manifeste », conclut l’auteur à ce sujet, « qu’on approuve que rarement l’homme critique, qu’on fait d’ailleurs passer pour un homme de la critique, qu’on ravale donc au rang de l’impertinent ou de casse-pieds, et donc à celui de l’individu gênant à condamner, alors que précisément l’intérêt de sa présence est qu’il vise à dégager des points décisifs, des phases percutantes, des perspectives prometteuses quant à l’évolution d’une situation » (p. 8).

Tout compte fait, un « petit » livre impertinent qui tient la route et nous force à nous remettre en question, même si nous ne partageons pas « tous les regards critiques » de l’auteur, Tony Ferri.

ANDRÉ NORMANDEAU
Université de Montréal

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