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Prison, quel avenir ?

Par Jean Bérard & Jean-Marie Delarue
Montréal : Éditions PUF, La vie des idées : une collection de livres. 2016.

Bien davantage que la dénonciation des conditions inhumaines en prison, les auteurs de ce livre s’appuient sur leurs importantes connaissances théoriques et de terrain pour interroger et penser l’avenir des politiques pénales mises en oeuvre en France et au Canada. L’intérêt essentiel de ce livre réside dans une vision globale des risques encourus à poursuivre sur les chemins empruntés par les politiques et les administrations pénitentiaires. Et tous les auteurs se rejoignent dans un objectif commun : attirer l’attention sur l’évolution actuelle et coûteuse des objectifs liés à « la rage sécuritaire » et à la définition de profils de dangerosité des individus, bref sur la nécessité urgente d’une autre politique pénale. On ressort de cette lecture avec un regard positif et l’envie de poursuivre son action pour des sanctions justes mais humaines.

Jean-Marie Delarue; ancien conseiller général des lieux de privation de liberté, pose les questions de fond : quel est le sens de la peine? quelle est l’efficacité de celle-ci ? « il faut régler lucidement la question de savoir si l’emprisonnement ne peut être autre chose qu’une « mise à l’écart », en soi suffisante pour beaucoup, ou s’il doit être autre chose et, dans l’affirmative, quoi et à quelles conditions » (p.20). Il regrette le double aveuglement des décideurs quant à la détermination et l’incrimination des peines ainsi que l’absence d’intérêt pour les conditions du vécu de ces peines. A juste titre, il affirme que « l’essentiel de l’avenir des prisons va continuer à se jouer par des oscillations de la politique pénale entre « l’offre » et « la demande », alors que le vrai problème n’est pas l’adaptation des détenus au nombre de places mais la conception, l’organisation et le fonctionnement de la prison. Il note encore avec justesse qu’ « il n’y a pas de prison heureuse » (P. 26), mais il croit qu’il existe des voies de progrès, notamment en informant bien l’opinion publique, en encourageant les gouvernements à expliciter les innovations et… en luttant contre l’inertie de l’Administration pénitentiaire. Il invite encore à porter notre réflexion sur la maladie mentale en prison et la situation sociale des détenus dont les familles pourraient être associées à la réinsertion.

Jean Bérard, professeur à l’Université de Montréal, suscite ensuite un regard croisé entre la France et le Canada à propos des niveaux de sécurité et des régimes différents appliqués en détention. Gaëtan Cliquennois, chargé de recherche au CNRS, souligne qu’en France la privatisation des établissements à gestion « mixte » a joué un rôle important, particulièrement dans l’instauration d’une nouvelle technologie…sans toutefois créer encore des prisons à sécurité dite « super maximale ». Signalant qu’il en existe déjà une au Canada, Marion Vacheret , professeure à l’Université de Montréal, insiste sur le contrôle des sanctions disciplinaires grâce à «des juges administratifs extérieurs à l’institution mandatés pour présider en lieu et place du directeur » (p.33) , mais aussi sur le contrôle des conditions de vie des détenus, grâce aux associations et instances de contrôle indépendantes du respect des droits des détenus. Mais, affirme-t-elle, aujourd’hui c’est « la logique gestionnaire de la prison (qui) met effectivement le droit en péril ». Les grilles statistiques « actuarielles » visent à déterminer le profil de risques et la trajectoire pénale de cohortes de prisonniers. Selon G. Cliquennois, ce modèle inspire la France qui utilise des grilles d’évaluation (par exemple le Diagnostic à visée criminologique ) visant à repérer le risque de récidive. Ainsi que le conforte Marion Vacheret, la préoccupation principale de ces outils actuariels réside dans « la tendance à la sursécurisation » et dans l’envoi vers des établissements de sécurité toujours plus forte. Enfin, Gaëtan Cliquennois montre la difficulté des Etats européens qui sont pris entre des injonctions contradictoires du Conseil de l’Europe, notamment à propos des effets de l’allongement de la durée des peines et le refus du Conseil de l’Europe de recommander la libération d’office aux 2/3, comme c’est le cas en Finlande. Il plaide aussi pour un travail commun entre chercheurs et militants au niveau européen.

Caroline Touraut, docteure en sociologie, analyse le travail de Xavier de Laminat sur les conditions d’exécution des peines en milieu ouvert, soulignant l’intérêt d’alternatives à la peine de prison comme la mesure de contrainte pénale (p.45). Pour X. de Laminat, « le milieu ouvert souffre de la prégnance de la logique de la détention et reste enseveli sous les préoccupations liées à la surveillance des détenus et à la sécurité des établissements ». Ainsi, au niveau de la probation, s’est opéré un changement de paradigme car « la prévention de la récidive s’est progressivement substituée au souci de réinsertion sociale » (p. 46). Comme pour les prisons, « l’exécution des peines en milieu ouvert souffre d’une nouvelle orientation managériale et criminologique » à laquelle « s’ajoute une culture de plus en plus prégnante de l’évaluation » (p.47) avec pour effet de favoriser la responsabilité individuelle plutôt que la responsabilité collective.

Nicolas Sallée, professeur à l’université de Montréal, analyse le premier ouvrage d’Alice Goffman (On the Run) portant sur l’expérience dans un quartier noir de Philadelphie. L’auteure rappelle que 11% des jeunes hommes noirs (de 20 à 24 ans) sont en prison pour environ 2% des jeunes hommes blancs. La présence quotidienne de la police, la surveillance, l’arrestation et l’enfermement de ces jeunes les amènent à conseiller aux plus jeunes « si tu entends les flics arriver, tu cours ». De cette façon, en grandissant ces jeunes intériorisent les réflexes d’une vie de fugitifs, « en cavale » (p. 54). Très judicieusement, la sociologue Alice Goffman « analyse la manière dont le stigmate pénal tend à exacerber une situation de domination sociale qui le précède » (p. 58) et « nous plonge là au coeur du continuum de contrôle caractéristique des nouveaux régimes de « punitivité », brouillant les frontières de la prison et du quartier » (p. 58)…de cette façon, « la domination devient auto-exclusion » (p.59).

Yasmine Bouagga, chargée de recherche au CNRS, souligne l’enfermement de masse aux EU (2 millions en 2015, soit près d’un quart de tous les détenus du monde) et surtout une croissance importante du placement des détenus en isolement. Ce sont principalement les malades mentaux qui se retrouvent en prison : en 2014, on estime leur nombre à 356.000 alors qu’on ne ne compte que 35.000 lits dans les hôpitaux psychiatriques publics contre plus de 500.000 dans les années 1970, ce qui laisse « entrevoir un véritable transfert de la prise en charge des malades mentaux de l’hôpital vers la prison » (p. 74). La détention en isolement « devient un régime institutionnalisé de catégorisation de la population carcérale. C’est la naissance des « Supermax » qui essaiment rapidement dans le pays sur fond de guerres médiatisées » (p. 77) alors que leur coût est estimé trois fois plus important. Ainsi dans la prison de Rikers Island (NY), on compte 1000 cellules de haute sécurité pour y mettre « à l’écart les pires des pires » (p. 78) et l’on ne s’étonnera donc pas de la violence brutale qui y règne ou de la folie qui se développe progressivement chez ces détenus isolés. Dans ce type d’établissement, une inspection indépendante s’avère indispensable, plus que partout ailleurs.

Dans sa conclusion, Jean Bérard pose la « bonne » question : les prisons valent-elles la peine? Tout en soulignant l’allongement des peines, l’enfermement sans fin au nom de la dangerosité et la planification des quartiers « Supermax » des nouvelles prisons, il met en évidence que l’Etat pénal est de plus en plus expert et que le visage de la violence de l’institution a changé » (p. 94). Or, un enferment de plus en plus sécurisé ne peut que produire la violence qu’elle souhaite éviter (p. 95). Comme Yasmine Bouagga, il nous révèle que « l’horreur pénitentiaire peut être propre, technologique et silencieuse (…) » (pp. 94-95). grâce aux outils de classement, des procédures et des statistiques. Invitant les politiques à s’interroger sur le phénomène structurel plutôt que sur des déviances individuelles, il suggère de « penser à la fois un déplacement des cibles de l’action pénale et une transformation de ses registres d’action, autrement dit, penser à de nouvelles formes de sanctions » (p. 98). Citant JP. Brodeur, il rappelle que la justice pénale n’est pas un « outil polyvalent de résolution des problèmes sociaux » et que résoudre ces problèmes suppose de se mettre à la tâche « en faisant autre chose que punir » (p. 100). Avec lui encore il interroge profondément les chercheurs du secteur pénal : « comment utiliser notre savoir pour produire le plus grand bien social au prix de la moindre souffrance ? » (p. 101) . Toutes ces questions fondamentales ne peuvent nous laisser indifférents, quelle que soit notre engagement dans l’administration de la Justice.

GERARD DE CONINCK
Maître de conférences à l’Université de Liège

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