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RCCJP – Volume 63.1 (2021)

Police et Policing au Québec. Concepts, acteurs et enjeux

Par Grégory Gomez del Prado et Stéphane Leman-Langlois
(collaboration de Benoît Gagnon)

Éditions Yvon Blais. 2020.

Un ouvrage en français sur la police et le policing au Canada qui initie aux réalités des pratiques et des enjeux actuels que vivent ces institutions est plus que bienvenue. Son ancrage pour illustrer plusieurs des éléments présentés est au Québec.

La première qualité de cet ouvrage est de ne pas limiter son regard aux activités traditionnelles les plus visibles de la police, soit la lutte contre la criminalité, mais de la recadrer dans l’ensemble de ses activités qui, le plus souvent, n’ont « rien à voir avec la criminalité et encore moins avec la criminalité violente » (p. XII). La seconde qualité est d’englober dans les activités de policing un ensemble d’institutions de contrôle aux activités similaires ou complémentaires en matière de sécurité et de surveillance, soit les agences de renseignement publiques et privées, et le maillage de plus en plus étroit entre les activités traditionnelles de la police et les agences privées de sécurité. En fait, la frontière public/privé devient de plus en plus floue dans certains secteurs, les corps policiers sollicitant activement des contrats privés, et les agences privées occupant de plus en plus des secteurs traditionnellement réservés à la police publique.

En première partie du livre, le premier chapitre traite des origines du policing canadien, montrant « qu’à travers les âges, les stratégies de base de la police ont peu changé » (p. 31).  Il s’agit essentiellement de surveiller un territoire, d’accumuler des informations sur des personnes en réponse à des demandes tant politiques que communautaires, le tout se jouant sur fond d’inégalités sociales et ethniques, tant chez les personnes ciblées par les activités policières que chez les victimes d’agressions. Le deuxième chapitre fait ressortir le caractère paradoxal des diverses théories qui tentent de définir les activités de la police, soit « d’insister pour définir un objet par l’une de ses caractéristiques les moins fréquemment exercées » (p. 43), l’usage de la force, ce qui, entre autres, biaise les attentes du public à son égard pour résoudre une situation. Puis il y a un bref survol descriptif des différentes formes de policing au Canada au troisième chapitre.

La deuxième partie du livre couvre les différentes pratiques du policing, soit d’appliquer la loi, de maintenir l’ordre et de fournir des services. Dans le quatrième chapitre, entre autres, on insiste sur le fait que les « crimes contre la personne n’occupent que 3% du temps des patrouilleurs » dans un ensemble de tâches qui « apparaissent à la fois indéterminées et potentiellement infinies » (p.67), leur mobilisation étant beaucoup plus réactive que proactive. De plus, parmi ces tâches, les agences de sécurité privée tentent de plus en plus de s’y faire une place à moindre coût que la police publique. Au cinquième chapitre, on y distingue les mythes de l’enquête, grandement colportée par les séries télévisées et les films policiers, des réalités de la pratique, montrant le rôle central du patrouilleur dans la résolution des enquêtes, et la place mitigée qu’y occupe la technologie. De plus, il y a un problème majeur qui se dégage en matière de cybercriminalité, forme croissante d’agressions et de fraudes, soit les grandes limites des ressources policières et le peu d’intérêt des enquêteurs en ce secteur. Enfin, expliquent les auteurs, « nos connaissances sur l’investigation touchent essentiellement à la police publique alors que les activités d’enquête sont majoritairement menées par d’autres acteurs du policing » (p. 103). Le sixième chapitre englobe les services de renseignement, tant en matière de sécurité (agences de renseignement), que la police de renseignement criminel. Si les agences de renseignement sont trop succinctement abordées dans leurs activités, les constats quant à la police de renseignement criminel sont intéressants : « malgré la mode à la police axée sur le renseignement, force est de constater que, mis à part l’accès à des données nominatives centralisées, l’impact de ces activités reste relativement marginal dans le quotidien des organisations policières » (p. 136).

Le septième chapitre aborde la place croissante des agences de sécurité privées dans des activités de plus en plus similaires à certaines activités de la police publique et complémentaires aux activités des agences renseignement, le tout facilité par l’arrivée des nouvelles technologies. Leur grand pouvoir d’action vient entre autres du fait que leurs activités sont beaucoup moins encadrées législativement que les policiers. De plus, la préférence de plusieurs institutions qui les embauchent de privilégier la discrétion et les arrangements de toutes sortes aux sanctions a comme résultat que la transparence et l’imputabilité sont assez faible en ce secteur d’activités de policing. À l’heure actuelle, certaines tentatives d’encadrement juridique s’opèrent pour corriger quelque peu la situation, particulièrement en matière de capacité des citoyens de porter plainte à l’égard du comportement de certains agents. Enfin, il y a également le problème des services de la police publique qui tentent d’accaparer des contrats dans le privé, secteur à l’heure actuelle très peu encadré.

La troisième partie (ma préférée) touche aux enjeux de légitimité et défis du policing. Au huitième chapitre, on y aborde la perception de l’efficacité de la police par le public qui repose sur des distorsions quant à son travail, et son manque de transparence qui amplifie la méfiance du public. Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) créé au Québec pour les cas où des citoyens sont blessés ou tués par la police, dans son fonctionnement actuel, ne diminue pas du tout cette méfiance. Comme le soulignent les auteurs, « c’est de plus de transparence, d’équité et d’impartialité dans les interventions policières dont nous avons besoin, loin d’une impunité accordée aux forces de l’ordre ou de vendettas idéologiques contre la police » (p.177). Au chapitre suivant, c’est la relation médias-police qui est analysée, montrant l’importance du fait divers plus que de l’analyse dans la nouvelle. Le fait divers est très rentable pour les médias par sa capacité de créer des émotions chez le lecteur, et constitue également un « commérage » abondant sur les médias sociaux. (p.184). Le résultat en est « un échantillonnage biaisé du réel » sur la criminalité et les pratiques policières (p.186) : « […], c’est le tsunami perpétuel du vrai, du déformé, du faux, de l’intox, du carrément loufoque qui deviennent de plus en plus difficile à distinguer » (p.197). Le dixième chapitre aborde la gouvernance des institutions policières et de leurs activités, y incluant le contrôle de la déviance. Les auteurs y abordent, bien sûr, les diverses formes de déviance individuelles, mais surtout, les déviances institutionnelles et systémiques qui méritent des correctifs préventifs beaucoup plus en profondeur. Les sanctions à l’égard de policiers spécifiques, bouc-émissaires d’une situation, plutôt que des correctifs préventifs en profondeur sont beaucoup trop souvent la norme.

Comme le soulignent avec justesse les auteurs, « La qualité du policing ne se mesure pas à l’absence de déviance, mais bien à la réponse qui lui ait faite. Lorsqu’on lui permet de perdurer, de s’étendre, ou qu’elle mine les sphères administratives, il y a lieu de s’inquiéter. » (p.224) Le onzième chapitre aborde la naissance de la police ‘communautaire’ et les raisons qui ont fait en sorte qu’elle n’a jamais vraiment été implantée, et qu’elle ne le sera jamais. Pour ce faire, on y reconnaît que les petits corps policiers ont toujours fait de la police communautaire, que le mythe fondateur des principes de Peel relève de la fiction pour expliquer son arrivée, et que les problèmes soulevés par les chercheurs sur le fonctionnement de la police que cette police ‘communautaire’ devait corriger, sont toujours là. Ainsi « l’intermède communautaire » (p.245) a laissé des traces dans le langage des bureaux de relations publiques pour justifier certaines activités, mais tend à disparaître dans les pratiques. Enfin, le dernier chapitre (écrit par Benoît Gagnon) revient sur les défis de la lutte contre la criminalité informatique, expliquant plus en détails pourquoi ce n’est pas une priorité pour la police malgré sa présence croissante.

Comme on peut le voir, le champ couvert par ce livre est très large, et son objectif est clairement de servir d’outil pédagogique pour initier aux théories, pratiques et enjeux de la police et du policing au Canada, en ancrant leur illustration au Québec. En ce sens, c’est un succès.

Trois faiblesses. En plusieurs endroits dans le livre, on fait référence trop brièvement à des événements au Québec en guise d’exemples qui, pour un lecteur non initié, le perdrait aisément. En d’autres mots, on prend pour acquis que tous sont au courant des détails de ces événements. La deuxième a trait aux agences de renseignement. À elles seules, elles auraient mérité un livre. Je les aurais exclus des pratiques et de l’analyse des enjeux plutôt que de les aborder si brièvement. Par exemple, en p. 222, les mécanismes de contrôle de ces agences font une vingtaine de lignes quand les enjeux de leur contrôle sont extrêmement complexes. La troisième est l’absence d’une conclusion générale qui aurait remis de l’avant les questions de fond soulevées dans ce livre.

Ces éléments n’enlèvent en rien au fait que ce livre demeure un excellent outil pédagogique pour s’initier aux théories, aux pratiques et aux enjeux de la police et du policing au Canada.

LINE BEAUCHESNE
UNIVERSITÉ D’OTTAWA

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