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Le phénomène des gangs de rue. Théories, évaluations, interventions

Sous la direction de Jean-Pierre Guay et Chantal Fredette
Montréal, Québec : Les Presses de l’Université de Montréal. 2014

Ce collectif, réalisé à partir des travaux de trente-deux professeurs, chercheurs, praticiens et étudiants de provenance disciplinaire variée, constitue un excellent état francophone des connaissances. L’intérêt partagé par les auteurs pour les gangs de rue n’est pas étonnant étant donné que l’affiliation à ces groupes est souvent associée à la délinquance et à la violence. L’ouvrage constitue un tout cohérent formé de cinq parties bien articulées, dont les vingt-cinq chapitres exploitent les références les plus fondamentales des littératures francophone et anglophone sur les gangs de rue tout en apportant une contribution originale à la base des connaissances. Le contenu du livre vise les gangs de rue au Québec, au Canada, aux USA et ailleurs dans le monde, alors que les modèles d’intervention, les approches théoriques et méthodologiques sont transférables dans de multiples contextes.

Il est d’abord essentiel de bien conceptualiser le phénomène des gangs afin de le mesurer adéquatement et d’assurer la cohérence des actions des diverses parties prenantes (première partie). Le premier chapitre (Guay, Fredette et Dubois) dresse donc un inventaire des stratégies cognitives et systèmes classificatoires pour ensuite analyser les avantages et limites des outils les plus répandus. Puis, les auteurs décrivent leur modèle multidimensionnel de l’adhésion aux gangs de rue, conjointement développé par un ensemble de chercheurs, cliniciens, policiers et gestionnaires. Cet outil de grande qualité rend compte de l’hétérogénéité et des multiples facettes du phénomène des gangs de rue à partir d’indicateurs reliés aux activités criminelles, à l’adhésion à la culture de gang, à la position occupée dans le réseau et aux tendances psychopathiques. Il vise à définir où se situe un délinquant dans cet espace multidimensionnel qui reflète bien la réalité.

Les conséquences sociales et judiciaires de l’identification des membres de gangs sont majeures, d’où l’importance pour Guay, Hamel et Fredette (chapitre 2) de mieux comprendre le processus d’identification. Ils déterminent pour ce faire les critères d’identification de base qui varient selon la place occupée dans le système social et pénal de prise en charge des délinquants. L’approche adoptée est originale, reposant sur la technique du sondage factoriel et l’utilisation de vignettes fondées sur la littérature. Les chercheurs ont collaboré avec des policiers, des intervenants et des étudiants en criminologie et en sécurité et études policières pour développer leurs outils dans le cadre de groupes de discussion.

Haymoz poursuit avec deux études descriptives (chapitres 3 et 4) faisant appel aux données du deuxième sondage international sur la délinquance auto-rapportée (IRSD-2) réalisé entre 2005 et 2007. Son premier texte présente les taux de prévalence des gangs dans trente pays et lève le voile sur les caractéristiques sociodémographiques des membres de gangs. Les prédicteurs significatifs de l’affiliation aux gangs sont cernés à partir de la littérature et d’une analyse de régression logistique. Un tel panorama est fort utile, malgré les limites reliées à des données transversales et auto-déclarées ne couvrant que plusieurs pays européens, quatre pays d’Amérique latine et les USA (quatre états). Le deuxième chapitre de l’auteure approfondit les facteurs de risque, la délinquance et la victimisation des jeunes associés aux gangs en Suisse. La relation entre l’affiliation aux gangs et la victimisation est clairement démontrée par Haymoz.

Au chapitre 5 Decker et Pyrooz étudient l’engagement des membres de gangs dans la violence à partir d’une revue de la littérature et de données internationales. Le contexte de l’Amérique du Nord est bien approfondi, mais les autres contextes sont abordés plus superficiellement. Les auteurs soulèvent à juste titre les défis posés par le choix de l’unité d’analyse : doit-on retenir le gang, le membre de gang ou le crime? Par ailleurs, la même question se pose pour l’unité de collecte. Ils préconisent une approche multiniveaux de la violence des gangs en faisant appel aux concepts d’espace, de processus social et de personnes. En nous faisant directement pénétrer dans l’univers des gangs, ce chapitre fait prendre conscience de l’hétérogénéité de leur organisation, de l’engagement criminel, de la fonction de la violence, de la fréquence et la sévérité de la délinquance.

Une adaptation (chapitre 6) du texte de Felson publié en 2006 clôt cette partie du livre en relevant le caractère évolutif des gangs, leur instabilité et leur durée de vie limitée. Il convient de ne pas perdre de vue que les gangs se diversifient, s’adaptent et affinent leurs stratégies. En vue d’établir les éléments d’une politique efficace de lutte contre les gangs, il est certes pertinent de s’interroger comme Felson sur ce qu’un gang apporte à ses membres. Ainsi, ces derniers tenteraient de s’adapter à leur environnement en utilisant l’image et les signaux reliés à l’appartenance au gang pour lutter contre leur sentiment d’insécurité et intimider leurs adversaires.

La deuxième partie du bouquin porte sur les médias, la culture et la mondialisation des gangs. Comme on le sait, les médias s’intéressent particulièrement aux gangs de rue, et contribuent largement à l’amplification du phénomène et au développement de stéréotypes. À partir de trois analyses de contenu de la presse écrite de quotidiens américains, canadiens et québécois, Brosseau, Guay et Fredette (chapitre 7) caractérisent la couverture médiatique des gangs de rue et déterminent son influence sur la population. Ils présentent les critères de sélection des événements médiatisés et la nature du traitement de l’information par les journalistes, qui ne citent guère les travaux scientifiques et valident rarement l’information par triangulation. L’impact du discours médiatique sur le sentiment de sécurité des citoyens est indéniable alors qu’en retour ceux-ci exercent souvent des pressions sur la classe politique pour lutter contre les gangs de rue. On ne peut que seconder les auteurs quand ils soulignent la pertinence d’élargir ce type de recherches à la télévision et aux médias sociaux.

Fredette et Guay (chapitre 8) explorent ensuite le rôle de la culture de gang dans le dérapage des jeunes et plus particulièrement des délinquants, question d’autant plus critique que le traitement judiciaire des personnes reconnues membres de gang est généralement plus sévère. L’adhésion à la culture de gang constitue le ciment de l’identité sociale du membre et son sentiment d’appartenance au groupe entraîne l’adoption d’attitudes et de conduites délinquantes à travers un processus d’identification sociale. La méthodologie de cette étude repose sur la constitution d’un corpus de dimensions et de marqueurs culturels extraits de la littérature. Les chercheurs ont défini la notion de culture de gangs en soumettant ce matériel à des panels de professionnels et de contrevenants associés aux gangs dans le cadre de groupes de discussion; la culture de gang ainsi conceptualisée constitue un univers de significations partagées, transmis de génération en génération et incluant symboles, signes de reconnaissance, règles et rituels, normes et valeurs. On aurait souhaité que ces aspects soient plus approfondis vu leur intérêt. De même, on a envie d’en savoir plus sur la mesure de l’adhésion à la culture de gang (MACg) mentionnée dans le texte et qui semble prometteuse.

L’aperçu de l’état des connaissances sur les cybergangs (chapitre 9) est pertinent étant donné l’essor important des technologies de communication et d’information et son impact probable sur les gangs. Les membres de gang utilisent le cyberespace pour communiquer, valoriser leurs actes criminels, recruter des nouveaux membres et exploiter des créneaux criminels. En raison de contraintes méthodologiques le phénomène est cependant peu documenté, ce qui n’a pas empêché Fredette, Fortin et Guay d’exploiter au maximum les ressources disponibles pour produire cet état des lieux et d’identifier des pistes de recherche intéressantes.

Les outils d’évaluation du profil des délinquants, les programmes et les plans d’intervention visent essentiellement les facteurs de risque. Pourtant, comme le mentionnent Parent et Guay (dixième chapitre) dans la troisième partie du livre intitulée « profils, expériences et délinquance », on enrichirait la gestion, l’évaluation et la prédiction de la délinquance en prenant aussi en compte les facteurs de protection. Qui plus est, une intervention axée sur des éléments positifs (par exemple, un environnement parental sain, des résultats scolaires élevés, l’absence d’amis antisociaux) augmente la motivation des délinquants à quitter la délinquance et les gangs tout en réduisant la stigmatisation dont ils sont l’objet. Après avoir examiné les divers facteurs de risque, les auteurs abordent des aspects fondamentaux reliés à la conceptualisation et à l’opérationnalisation des facteurs de protection possédés par les individus. Enfin, ils considèrent l’interface entre facteurs de risque, facteurs de protection et délinquance. On réalise ainsi la complexité engendrée par la présence simultanée de facteurs de risque, de protection et de résilience, d’effets directs, indirects et modérateurs de variables servant à prédire la délinquance et la récidive. Ce texte démontre la pertinence de poursuivre les recherches sur les facteurs de protection, en particulier en s’assurant qu’ils sont mesurés avec des outils valides et fidèles. Il y aurait lieu de créer de nouveaux outils qui couvriraient les domaines de facteurs de manière plus exhaustive et s’appliqueraient à diverses populations jeunes et adultes.

Laurier et Morin (chapitre 11) recensent les rares écrits existants sur la santé mentale des membres de gangs, dont les problèmes extériorisés (comportements agressifs, destructivité…) ont beaucoup captivé les chercheurs, alors qu’ils présentent pourtant une prévalence élevée de troubles de santé mentale dits intériorisés (anxiété, dépression…). Tantôt acteurs, tantôt victimes, la prédisposition à la violence des membres de gangs les rend vulnérables à des conséquences physiques, psychologiques et sociales. Cependant la relation entre l’association aux gangs et les troubles psychiatriques causés par le stress et l’anxiété découlant du mode de vie est ambigüe. Les éléments présentés dans ce chapitre convainquent le lecteur que la considération des troubles internalisés de santé mentale, des fragilisations et traumatismes vécus par les jeunes augmenterait l’efficacité des interventions. L’annexe de ce chapitre fournit un résumé des résultats, objectifs et échantillons de douze articles traitant de santé mentale.

Par leurs comportements criminels, les membres de gangs s’exposent à de plus grands risques que les autres délinquants, d’où la pertinence de s’interroger, comme le font Laurier et Dubois (chapitre 12), sur les causes et les fonctions de la prise de risques. Ces auteurs proposent un modèle intégrateur articulé sur les trois mécanismes par lesquels les jeunes contrevenants associés aux gangs sont susceptibles d’adopter des comportements à risque. Ils recommandent à juste titre que la prévention des conduites à risque chez les jeunes membres de gangs devrait mieux tenir compte du fait qu’ils ont souvent des traits de personnalité associés à la recherche de sensations fortes.

À partir d’une judicieuse sélection de textes, Brisebois (chapitre 13) examine la littérature sur la transformation de l’institution de la famille et son impact sur la délinquance juvénile. On s’aperçoit que les caractéristiques familiales ne sont pas directement associées à l’affiliation aux gangs, mais que l’accumulation et l’intensité des difficultés familiales sont susceptibles de provoquer l’apparition de comportements délinquants chez certains individus et ainsi de favoriser leur affiliation aux gangs. Par ailleurs, les études réalisées n’ont pour la plupart pas mis en évidence des différences fondamentales entre les familles des membres et des non membres de gangs. Mentionnons que des liens intéressants pourraient éventuellement être établis entre ce chapitre et les études longitudinales effectuées par les socio-démographes sur les transformations des structures familiales.

Moins nombreuses que les garçons à joindre un gang de rue, les filles ont été plus rarement l’objet d’études sur les gangs alors même que les particularités de leur affiliation justifient une approche sexospécifique. Il est donc intéressant que Fredette et Béliveau (chapitre 14) dressent l’état des connaissances actuelles, suggèrent des pistes de recherche et d’intervention. Afin de mieux comprendre la nature de la participation des filles, il est nécessaire de considérer la relation complexe entre leur délinquance et leur exploitation. Ces dernières, tout en étant victimes de rapports entre les sexes marqués par la misogynie, l’agressivité, la domination et les exploits sexuels, peuvent malgré tout devenir des complices et développer leurs propres créneaux d’activités criminelles.

En continuité avec cette réflexion, le quinzième chapitre présente le regard sexologique de Fleury et Fernet sur le vécu sexuel et amoureux des membres de gangs. Après un état des lieux sur le vécu familial, elles considèrent les expériences de gang en matière de rapports entre les sexes, de relations amoureuses, de sexualité et de paternité. On réalise en lisant leur texte que l’apprentissage par les membres de gangs de rôles associés aux stéréotypes et à la violence envers les femmes débute souvent durant l’enfance, auprès des modèles masculins présents dans leur environnement familial. Leur passage dans le gang renforce ensuite cet apprentissage initial, renforcement motivé par l’obtention d’un statut et la préservation une image masculine de domination. Afin de favoriser l’établissement de relations égalitaires sans violence sexuelle, les chercheures recommandent aux intervenants d’évaluer les comportements sexuels et amoureux des membres de gangs et d’intégrer un volet d’éducation sexuelle dans les interventions. Le chapitre est bien conçu, mais on aurait souhaité avoir des références spécifiques aux textes consultés plutôt qu’un texte général reflétant ce qui se dégage de l’ensemble des études consultées.

Un livre sur les gangs de rue doit inévitablement aborder les politiques publiques, la répression et la prise en charge pénale, ce qui constitue justement l’objet des cinq chapitres de la quatrième partie. Dans un premier temps, le texte Barrows et Huff (chapitre 16) porte sur les bases de données et les politiques publiques. Un certain nombre de détails plus administratifs auraient pu être retirés du texte afin de mieux se concentrer sur les systèmes de classification des gangs et aux bases de données existantes. Les auteurs déplorent le manque d’information sur les bases de données sur les gangs utilisées par les groupes de travail aux USA et le manque de cohérence entre les multiples systèmes utilisés. Ils mentionnent aussi l’importance de classifier les individus selon une définition standardisée afin de pouvoir procéder à des analyses comparatives.

Le chapitre 17 (Piché) décrit clairement l’harmonisation entre la preuve de gang et son administration devant les tribunaux canadiens. Il nous amène à mieux comprendre l’approche suivie par les procureurs dans un système de justice fondé sur les règles de droit criminel qui ne se marient pas directement aux définitions et critères des services policiers. Si la détermination de la preuve de gang est essentielle, sa présentation est complexe. On réalise d’autant plus l’importance de la définition de gang et des critères d’identification des membres après ce bel aperçu du processus judiciaire.

Le chapitre suivant, qui porte sur l’évaluation du risque et la prédiction de la récidive (Guay et Parent), est basé sur un rapport produit en 2012 pour Sécurité publique Canada. La contribution de ce texte est d’autant plus grande vue la rareté des travaux visant l’effet de l’affiliation aux gangs sur la délinquance et les études sur le rendement des approches d’évaluation et de gestion du risque. Les auteurs démontrent des différences significatives dans la prévalence des antécédents criminels et le risque de récidive des contrevenants relevant des services correctionnels du Québec, membres de gangs et non membres de gangs. Quoique les biais de sélection de l’échantillon limitent la généralisation des résultats de cette étude, la recherche demeure fort instructive. En guise de conclusion, les chercheurs font le lien avec le modèle multidimensionnel précédemment développé par Guay et al (2009 et 2010), qui visait à remplacer la mesure de l’appartenance dichotomique au gang par une mesure fondée sur quatre axes (antécédents criminels, tendances psychotiques, adhésion à la culture de gangs et place dans le réseau). Ils indiquent que l’approfondissement de ces facteurs pourrait accroître notre compréhension de la spécificité des membres de gangs; il va de soi qu’une telle recherche complèterait la base des connaissances.

Les défis reliés à l’intégration des gangs en détention sont couverts à partir d’un mémoire de maîtrise inédit dans le chapitre 19 (Charland et Vacheret) qui décrit les étapes du processus de formation d’un gang en milieu de détention et analyse les liens entre l’adaptation en prison, la sous-culture carcérale et la sous-culture délinquante des membres de gangs. La problématique abordée est pertinente et fait réaliser que l’utilisation d’un gang constitue une stratégie préconisée dans l’obtention du pouvoir et du contrôle des conditions de détention. Paradoxalement, les milieux de détention créent des gangs et aident les gangs préexistants à consolider leur cohésion et leur solidarité.

L’application stratégique des principes de dissuasion est au cœur du vingtième chapitre (Braga) qui présente les approches expérimentées dans plusieurs villes américaines, axées sur des méthodes basées sur la résolution de problèmes pour lutter contre la violence armée des gangs. Ces initiatives sont fondées sur la stratégie de dissuasion à partir d’un recours à tous les moyens autorisés par la loi. On présente ici les éléments clés des interventions et des résultats de leur évaluation.

La cinquième et dernière partie du livre porte sur la prévention, la réadaptation et l’insertion sociale des membres de gangs. Ainsi, Hamel (chapitre 21) met en évidence les défis de l’application d’une approche globale et intégrée dans le contexte de la prévention tertiaire. La recherche est de nature exploratoire, reposant sur un échantillon de taille réduite et des données qualitatives. Elle révèle des pistes à approfondir fort pertinentes. Deux paradigmes fondamentaux sont illustrés : d’un côté certains voient en l’approche communautaire le moyen d’aider le jeune à sortir de sa gang, de l’autre l’approche communautaire est privilégiée pour attacher le jeune à sa communauté. Des informations utiles sont partagées sur le vécu des membres et leurs motivations à quitter le gang, alors que l’on souligne aussi les principaux défis affrontés par le projet et les besoins particuliers des jeunes.

Totten (chapitre 22) situe le développement de la culture de gang chez les autochtones dans le contexte historique de la destruction de leur culture, de la transmission intergénérationnelle de l’empreinte de la colonisation et de l’assimilation forcée. Une analyse des facteurs historiques et de l’environnement à risque des autochtones met évidence les problèmes psychosociaux et les difficultés vécues par les jeunes et plus particulièrement les femmes. Les enjeux reliés aux relations de genre sont révélés, tandis que l’étude des parcours de vie illustre la spécificité des trajectoires autochtones menant à la violence et à l’affiliation à un gang. L’auteur identifie jusqu’à cinq types de gangs auxquels les membres adhèrent chacun à leur manière en assumant des rôles et des responsabilités variés. Un bilan de l’efficacité des interventions réalisées au Canada auprès des autochtones indique que les approches les plus efficaces sont sexospécifiques, basées sur des données probantes culturellement adaptées et visent à la fois la communauté, la famille et l’individu.

Un livre aussi fondamental sur les gangs de rue devait prendre en compte l’œuvre de Feu Spergel, dont la contribution à l’étude et à la lutte contre les gangs de rue est magistrale. Le chapitre de Feu Spergel et de Wa (chapitre 23) présente donc les fondements et les résultats de l’expérimentation du Comprehensive Community-Wide Program Model (approche globale à l’échelle de la collectivité). Ce modèle causal du problème communautaire des gangs a en effet été implanté sous différentes formes dans six villes américaines et évalué à partir d’un même protocole de recherche. On y dégage entre autres les facteurs ayant un impact significatif sur des indicateurs reliés aux gangs, et on dégage les effets des composantes du modèle. Mentionnons toutefois que l’historique du développement des gangs effectué par les auteurs demeure américano-centrique. Ils semblent oublier que des gangs ont été observées à l’extérieur des USA bien avant le dix-neuvième siècle, et que ces gangs n’étaient pas forcément reliées aux courants migratoires. À titre d’exemple, les gangs de rue ont captivé bien des romanciers en France et en Angleterre aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, la littérature de l’époque faisant foi de leur existence en décrivant à leur manière leur structure et leurs activités.

Le chapitre suivant (chapitre 24 : Brisebois, Fredette et Guay) examine les stratégies d’intervention auprès des membres de gangs en dressant un panorama intéressant des différents types de programmes d’intervention, illustrés par des interventions dans la communauté, les interventions des organisations de prise en charge sociale et pénale, des actions globales et intégrées. Bien qu’il ne s’agisse pas là d’un inventaire exhaustif des programmes existants, par ailleurs les choix effectués sont pertinents.

Le dernier chapitre de l’ouvrage (chapitre 25: Gravel, Descormiers, Wong, Bouchard et Morselli) propose un inventaire des stratégies d’intervention auprès des membres de gangs mises en place depuis les années quatre-vingt, suivi d’une synthèse de l’efficacité des principaux programmes (auteur, échantillon, indicateurs, résultats significatifs ou non, tendances observées…). Cette recherche a aussi amené les auteurs à créer un système classificatoire systématique des stratégies de prévention et de régulation des activités de gangs. La méthodologie de recension des recherches évaluatives déployée est rigoureuse et assure une excellente couverture des études publiées dans des revues scientifiques. Le chapitre prend aussi en compte certains articles et rapports non publiés retracés à partir des curriculum vitae de trente chercheurs; par contre la portée de cette analyse est toutefois tributaire des critères d’identification des chercheurs retenus et elle aurait pu être élargie. La typologie qui découle de cette recension structurée des pratiques comble les lacunes des systèmes classificatoires existants. En plus de prendre en compte la population visée et l’objectif du programme, elle illustre, sous la forme d’un continuum, le niveau de risque perçu au sein d’une communauté. La présentation des résultats de recherches évaluatives en fonction de la typologie confirme les qualités opérationnelles de l’outil.

En guise de conclusion à ce compte-rendu de lecture, nous recommandons fortement la lecture de cet ouvrage dirigé par Guay et Fredette, qui a atteint les objectifs visés et constitue une contribution remarquable à plusieurs égards. Il n’aurait pu naître sans la collaboration des professeurs, chercheurs, étudiants et praticiens intéressés par le phénomène des gangs de rue. Plusieurs auteurs du collectif insistent sur l’importance de poursuivre la recherche sur les gangs à partir de devis rigoureux, afin de baser les interventions sur des fondements théoriques et empiriques solides. En ce sens, un chapitre supplémentaire aurait pu être ajouté pour traiter en profondeur des options et défis méthodologiques reliés à l’étude des gangs de rue. Par ailleurs, il est vrai que les vingt-cinq chapitres actuels fournissent à eux seuls plusieurs heures de belle lecture et stimuleront certainement la réflexion de lecteurs en provenance de multiples milieux.

Danièle Laliberté
Ministère de la Sécurité publique du Canada

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