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La prison sous l’œil de la société?
Contrôle du respect de l’état de droit en détention en France et au Canada

Sandra Lehalle
Paris, France : L’Harmattan. 2013

En refermant ce livre, on reste impressionné par la quantité d’informations mais surtout par la qualité et la profondeur des réflexions de S. Lehalle… laquelle suscite notre envie de prolonger sa démarche dans notre pays. Ses développements sur le contrôle indépendant des prisons en France et au Canada sont richement documentés et actualisés par de nombreux entretiens (50) menés avec des personnes-clés œuvrant dans les organismes de contrôle (nationaux et internationaux). Tout au long de son parcours, elle construit sa démonstration essentielle : les différents mécanismes de contrôle sont « une nouvelle source de légitimité pour l’Etat et ses prisons en les faisant paraître plus acceptables » (p. 345). Très justement, elle remarque que « c’est dans le contexte de perte de légitimité de l’institution prison qu’apparaît le discours des droits à la fois comme force d’opposition à l’arbitraire, mais aussi comme source de légitimité nouvelle pour l’institution » (p. 344). Au-delà de cette instrumentalisation des organismes de contrôle et des ONG, elle démontre que « par la promotion du contrôle tout comme pour la promotion du droit, l’Etat et les administrations pénitentiaires s’épargnent tout questionnement sur la raison d’être des prisons en privilégiant le débat sur les manières d’être de la prison » (p. 346).

Au départ de sa comparaison, S. Lehalle souligne l’instauration anticipée des mécanismes de contrôle externe au Canada, dans les années 70, alors qu’ils ne se développent que dans les années 80 et même au début des années 2000 en France. Cependant, dans ce dernier pays il existe davantage de « contrôles supranationaux supplémentaires » en relation avec l’adhésion au Conseil de l’Europe. De façon très fouillée (une centaine de pages !), elle retrace l’évolution et l’influence des contrôles supranationaux en France par la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) et par le Comité de prévention de la torture (CPT). Celui-ci se montre très critique envers l’état de surpopulation et, outre les conditions de détention, propose les pistes de solution à suivre ou ne pas suivre. ). Au niveau des Nations Unies, dans les deux Etats étudiés, elle examine le contrôle préventif exercé par le Comité contre la torture (CAT) et le Sous-comité contre la torture (SPT), mais également leur contrôle répressif rapportant que la France « se situe parmi les Etats d’Europe les plus fréquemment condamnés par les instances de Strasbourg » (p. 51).

Au plan national, elle décrit le travail de contrôle politico-administratif et judiciaire, en particulier celui de la Commission Canivet en France (2000) et des deux Commissions Archambault au Canada (1938 et 1987). En France depuis la loi pénitentiaire de 2009, les commissions de surveillance ont fait place aux « conseils d’évaluation », de composition mixte, comprenant des autorités politiques, judiciaires et des membres d’associations. Leur objectif n’est plus de contrôler (contrôle qui n’était que formel d’ailleurs, sans pouvoir) mais d’évaluer les conditions de fonctionnement. Au Canada, des comités mixtes, souvent présidés par un magistrat, maintiennent des rapports étroits avec le pouvoir de l’Etat. Malgré leur intérêt pour les questions pénitentiaires, leurs recommandations ont rarement été suivies d’effets concrets, ce qui ne signifie toutefois pas qu’elles n’ont pas eu d’influence.

Il n’existe pas d’ombudsman fédéral au Canada car cette fonction est déléguée à divers ombudsmans spécialisés dont l’un est assigné spécialement aux personnes détenues dans des pénitenciers fédéraux, alors qu’au niveau provincial les plaintes des détenus sont gérées par des ombudsmans généralistes. L’ombudsman fédéral spécifique appelé (« Enquêteur correctionnel ») est rattaché depuis sa création au ministère dont dépend le Service correctionnel et remet ses rapports au ministre et non au Parlement, comme le souhaitent de nombreuses associations. En 2013 le bureau de l’Enquêteur correctionnel comptait 34 employés, dont 27 directement impliqués dans les enquêtes, mais d’aucuns mettent en cause son indépendance car il n’a d’autre pouvoir que celui de l’influence et de la coopération avec l’administration (« le nouveau gardien de prison n’a pas de dents », écrit-elle (p.191). En parvenant à résoudre des litiges individuels, l’Enquêteur correctionnel ne participe-t-il pas « à l’équilibre du système dans son ensemble en apportant un équilibre entre les détenus et l’institution dans le but d’améliorer ou contrôler les droits des personnes incarcérées » (p. 194) ?

En France, il existe un système mixte : un ombudsman généraliste, Médiateur de la République devenu Défenseur des droits en 2008, dispose notamment d’un pouvoir d’injonction renforcé et dispose de délégués dans chaque établissement pénitentiaire. Il a pour fonction d’aider les citoyens contestant les décisions des administrations de l’Etat. A côté de lui, a été institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (mission de prévention des atteintes aux droits fondamentaux). Appelé à formuler des recommandations, publiques ou non, et des adaptations législatives ou réglementaires, celui-ci est aidé par une équipe de 27 personnes « complétée par 18 intervenants extérieurs agissant comme contrôleurs à temps partiel sans renoncer à leur occupation principale (dans l’administration ou non) » (p. 201). Le rôle de ces différents ombudsmans est important mais leur limite essentielle tient à l’obligation qu’ils ont d’obtenir la coopération des services correctionnels et le support de la hiérarchie, donc dépend aussi de leur personnalité et de leur capacité de convaincre. Dès lors, les accusations formelles ou la médiatisation des problèmes graves ainsi que les menaces de rompre tout dialogue avec les autorités se révèlent inhabituelles. « Les relations entre ombudsmans et services correctionnels sont au cœur de la mission des premiers » (208).

« L’Etat est souvent, à des degrés divers, l’instigateur du contrôle exercé sur les prisons (…) parfois ce sont les citoyens qui s’approprient l’initiative et/ou la mise en œuvre de ce contrôle » (p. 267). Le contrôle par la société civile joue un rôle essentiel et propose « une concurrence au modèle de démocratie représentative en prônant un système de démocratie participative » « (p. 317) que l’Etat tente de canaliser. Les ONG possèdent souvent un statut consultatif tant auprès des gouvernements nationaux qu’internationaux. Relevons surtout :

– Les Comités de citoyens canadiens, regroupant aujourd’hui près de 600 citoyens dans près de 100 comités dans tout le pays, contrôlent l’Etat dans les limites que celui-ci a fixées. En effet, c’est chaque directeur de pénitencier fédéral qui est responsable de la constitution et du fonctionnement du comité rattaché à son établissement. Et les membres sont nommés par le directeur avec le consentement du sous commissaire du Service correctionnel du Canada (formation avec visites, rencontres, enseignements sur la sécurité, le langage des détenus…et sur toute politique nouvelle). Ils exercent une fonction de Conseil des autorités pénitentiaires mais sont aussi des observateurs indépendants et impartiaux des activités quotidiennes de la prison dont ils informent le public. « Leur mission principale n’est donc pas le contrôle de la prison, mais davantage celui d’un relais d’information vers la société » (p. 270).

– Au Canada encore, plusieurs organisations non gouvernementales exercent un contrôle sur les établissements et le respect des droits. Ainsi, la société John Howard « suggère que soit mis en place un mécanisme qui gérerait les différends entre le Service correctionnel et l’Enquêteur correctionnel » (p. 309). Les sociétés Elisabeth Frey travaillent « sur la question des femmes confrontées au système de justice » et « entreprennent diverses actions d’analyse des politiques, de recherche, de production de mémoires et de rapports à l’attention des autorités et du public » (p. 310). D’autres associations produisent également des recherches, organisent des colloques, comme l’Association des Services de Réhabilitation du Québec ou l’Office des droits des détenus et insistent davantage sur la défense des droits des détenus et de leurs familles.

-En France, l’Observatoire International des Prisons (OIP)qui a publié un « guide de l’alerte » se donne pour objectif d’ « Observer, Alerter, protéger » et mène des actions d’envergure nationale, tout en travaillant étroitement avec les groupes locaux. Sans exercer directement un contrôle sur les prisons, il réclame toujours « la création d’un mécanisme de contrôle indépendant » (p.304). L’Association française de criminologie (AFC)exerce, elle-aussi, « des pressions importantes sur les décideurs pertinents en milieu carcéral » (p. 306). Sans oublier de citer le travail d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de Penal Reform International, de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, de La Croix-Rouge et de l’Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture…

La conclusion de S. Lehalle qui est objective et courageuse témoigne d’une profonde connaissance théorique et pratique, non seulement des prisons mais surtout des mécanismes de contrôle mis en place en France et au canada. Elle expose avec objectivité et courage qu’« aucun des contrôles passés en revue dans cette recherche ne semblent susceptibles de remplir les trois critères d’effectivité identifiés par Faugeron (1996) : l’indépendance vis-à-vis de l’administration pénitentiaire ; l’autonomie des décisions ainsi que la possibilité de faire appliquer ou d’en négocier l’application, et finalement, la responsabilité devant une instance de contrôle des contrôles » (p. 30). Et ces mécanismes imparfaits de contrôles indépendants sont appelés à disparaître, écrit-elle, « dès que l’Etat et les autorités pénitentiaires assumeront leurs responsabilités en respectant toutes les normes en vigueur ». (…) «En aspirant à disparaître quand le droit sera respecté, les mécanismes de contrôles semblent oublier un bref instant que leur vocation à la perfection des normes et des pratiques pénitentiaires, leur assure en fait une belle pérennité » (pp. 347- 348). Cette belle démonstration bouleverse notre bonne conscience et nous renvoie aux responsabilités de l’Etat dans l’organisation de ses institutions pénitentiaires pour faire respecter la dignité humaine dans ces lieux cachés de la société que sont les prisons. Un livre précieux pour tous ceux qui se préoccupent de Justice et des questions pénales. Un ouvrage indispensable pour toutes les personnes qui participent au contrôle des prisons.

Gérard De Coninck
Université de Liège

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