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La réadaptation de l’adolescent antisocial

Sous la direction de Marc Le Blanc et Pierrette Trudeau Le Blanc
Les Presses de l’Université de Montréal(2014)

C’est avec un réel plaisir que je me suis plongée dans la lecture de cet ouvrage qui combine avantageusement réflexions et assises théoriques avec un contenu formatif et pédagogique, pouvant dès lors être destiné à un public et à une utilisation large (e.g. recherche, enseignement, intervention).

Cet ouvrage est le 3ème d’une série abordant l’adolescent antisocial et le contexte de la réadaptation. Aussi, le tandem d’auteurs, Marc Le Blanc et Pierrette Trudeau-Le Blanc, a déjà anticipé, et explique d’ailleurs très bien, la plus-value de cette troisième contribution par rapport aux deux précédentes. Le présent ouvrage, axé sur l’approche cognitivo-émotivo-comportementale, cible les comportements, émotions et cognitions de l’adolescent antisocial et de son milieu; il s’éloigne ainsi du deuxième ouvrage (Le Blanc, Dionne, Proulx, Grégoire, & Trudeau-Le Blanc, Intervenir autrement : Le modèle différentiel et les adolescents en difficulté. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 1998), présentant l’approche développementale, mais renforce la composante cognitivo-comportementale, en ajoutant celle liée aux émotions et sensations. Concernant le premier ouvrage (Le Blanc, Boscoville : La rééducation évaluée. Montréal : HMH, 1983), décrivant et évaluant le programme psychoéducatif issu de l’approche du même nom, il est le terreau propice au développement du programme cognitivo-émotivo-comportemental.

Même si ce présent ouvrage est destiné à un public varié, il nous semble avant tout correspondre à un lecteur averti et/ou fortement intéressé par la problématique de la réadaptation de l’adolescent antisocial. En effet, cet ouvrage ne consiste pas en un roman ou un partage d’expériences et d’anecdotes abordant les jeunes en difficulté; il s’agit bien ici d’un recensement de travaux empiriques et d’évolution de pratiques probantes articulées par la connaissance scientifique. Ce bouquin se propose ainsi d’être un guide pour toute personne étant au contact d’adolescents antisociaux dans un contexte de réadaptation. A mon sens, le contenu de ce livre revêt deux prouesses : premièrement, répondre à des questions qui bien que paraissant banales pour quiconque s’intéressant au sujet n’en sont pas moins essentielles et complexes dans leur contextualisation (Quelle réadaptation?/ Pourquoi? Pour qui? Quels comportements? et Comment réadapter?/ Quels contenus? Où et dans quelles conditions? Quel succès?) ; deuxièmement et parallèlement, opérationnaliser des savoirs en savoirs-faire, démarche enrichie par la possibilité de consulter les nombreux documents et fiches didactiques numériques associés.

Cet ouvrage est divisé en deux grandes sections, « Quelle réadaptation? » et « Comment réadapter? », sous-tendues par une recension de travaux empiriques et par l’expérience des auteurs au sein de Boscoville et des Centre Jeunesse de Montréal. La première partie « Comment réadapter », comprend trois chapitres, dont le premier, écrit par Marc Le Blanc, aborde le choix de l’approche cognitivo-émotivo-comportementale. Ce chapitre nous guide dans la conceptualisation du phénomène des jeunes en difficulté, en y associant perspectives historiques et sociétales. L’objectif est de pouvoir dresser l’inventaire des évolutions de pensées et de pratiques concernant l’adolescent antisocial, en débutant par les milieux de l’internat et de la réadaptation, et terminant par les bénéfices de l’approche psychoéducative et l’approche cognitivo-émotivo-comportementale. Ce chapitre mérite d’être parcouru car il démontre parfaitement les besoins de la réadaptation pour les adolescents antisociaux. Toutefois, il faudra attendre le chapitre suivant pour véritablement comprendre en quoi consiste l’approche cognitivo-émotivo-comportementale, qui bien que décrite comme un choix qui s’impose (p.46), n’en reste pas moins imprécise à l’issue de cette première lecture. Le deuxième chapitre illustre ainsi l’approche cognitivo-émotivo-comportementale et ses fondements théoriques pour l’apprentissage des comportements prosociaux. Ce chapitre est également développé par Marc Le Blanc, et nous parcourons avec lui les théories de l’apprentissage comportemental, social, cognitivo-comportemental et puis enfin cognitivo-émotivo-comportemental, incluant également l’importance des interactions entre la personne et son milieu (mécanisme d’interprétation d’une situation). Chacun des sous-chapitres contient une partie dévolue aux fondements et modèles théoriques, anciens et récents, et une seconde qui présente les considérations appliquées, en lien avec le programme cognitivo-émotivo-comportemental.

Notons que l’auteur prend le temps (pp. 51 à 55) de définir et présenter un modèle de compréhension du comportement antisocial chez l’adolescent, qui bien qu’étant un concept familier, n’en demeure pas moins complexe. Il aurait pu être intéressant de faire ces précisions plus tôt, bien que celles-ci s’intègrent à la définition du comportement au sein de l’approche comportementale. A mon sens, équilibrer davantage les parties « théorie » et « implications en contexte de réadaptation », notamment en développant la seconde de manière plus conséquente, aurait pu donner un caractère davantage pédagogique à cette section d’ouvrage. Toutefois, la présentation détaillée des différentes approches théoriques est nécessaire à la bonne compréhension et surtout à l’application du programme cognitivo-émotivo-comportemental. Quant au troisième chapitre, il expose plus précisément les contenus associés au programme cognitivo-émotivo-comportemental, dont les technologies comportementales, cognitives et celles associées aux émotions et aux sensations, rendant plus concret l’apport de ces théories. La présentation de ces technologies est des plus utile pour la poursuite de la lecture, sous-tendant le programme cognitivo-émotivo-comportemental. Cependant, celles associées aux composantes émotives (et sensations associées) sont moins décrites, ceci étant justifié par le fait que les émotions sont présentes dans le programme (e.g., les habiletés pour la maitrise de la colère) sans pour autant s’intégrer dans une technologie particulière. Si nous sommes d’accord avec l’auteur, nous prévenons toutefois le lecteur qui chercherait ici des techniques particulières liées à la régulation émotionnelle ou à l’essor de la psychologie positive (e.g., comment savourer, être satisfait, plus heureux), ce que cet ouvrage, et le programme cognitivo-émotivo-comportemental, n’abordent pas.

La seconde partie du bouquin, « Comment réadapter ? », porte sur la présentation du programme cognitivo-émotivo-comportemental au travers de quatre chapitres. Les trois premiers chapitres, rédigés conjointement par Marc Le Blanc et Pierrette Trudeau-Le Blanc, décrivent très pragmatiquement les trois modules du programme : celui plus collectif, lié aux apprentissages d’habiletés sociale, celui davantage individuel concernant la modification des comportements et enfin, celui plus challengeant, associé à la modification des milieux. Ces sous-chapitres, intrinsèquement liés, forment le cœur de l’ouvrage pour appréhender le programme cognitivo-émotivo-comportemental. Très didactiques, ils présentent une belle articulation avec les contenus précédents et nous semblent indispensable à la lecture. J’attire toutefois l’attention du lecteur sur le sous-chapitre lié à la modification des comportements, et plus particulièrement le passage concernant la connaissance de soi (pp.211 à 224), qui se présente peut-être comme plus accessible pour le lecteur néophyte avec les préceptes cognitivo-émotivo-comportementaux ou celui qui serait plus réticent de par le côté normé et très structuré de ce type de programme. Le dernier chapitre, quant à lui, présente les enjeux liés à l’implantation et l’évaluation du programme cognitivo-émotivo-comportemental. Ce dernier chapitre est découpé en quatre parties comprenant la description de la démarche d’implantation du programme, l’optimisation et l’appui de l’approche psychoéducative en contexte de réadaptation, l’appréciation de la qualité de la mise en œuvre du programme et enfin, l’évaluation des résultats obtenus au sein d’unités de réadaptation pour jeunes filles. Les trois premiers chapitres font écho à ce que l’on appelle maintenant en anglais « nonprogrammatic features », correspondant aux facteurs ou conditions non reliés directement au contenu du programme, mais qui contribuent au succès de celui-ci. Il est donc essentiel de pouvoir les aborder et les évaluer. Aussi, l’évaluation du programme cognitivo-émotivo-comportemental réalisée par les auteurs, incluant les aspects du contenu et ceux du contexte de sa mise en œuvre, est réellement instructive car cela entérine ce programme comme étant une « réponse » probante face aux difficultés que rencontre l’adolescent antisocial en contexte de réadaptation. En outre, ces différents sous-chapitres sont également riches en expériences et cheminements, permettant de rendre compte des moyens humains, financiers, logistiques et de gestion nécessaires à dégager pour implanter un tel programme. Au terme de ces différent chapitres, le lecteur (enseignant, chercheur, intervenant) possèdera ainsi les cartes conceptuelles et didactiques pour, au mieux envisager sérieusement « la mise en place » de ce programme, et, à minima, réfléchir et nourrir sa pratique concernant la réadaptation de l’adolescent antisocial.

En guise de conclusion, les auteurs nous invitent à la réflexion autour de quelques mots clés (l’espoir, la complexité, la durée, la technologie et la rigueur) qui résument le message que les auteurs souhaitent transmettre à travers leur parcours, expériences et rédaction d’ouvrages. Ces mots de fin sonnent juste, soulevant la complexité de l’humain, où bien que « l’intervention » puisse être relative, elle n’en demeure pas moins rigoureuse. Aussi, à toute personne intéressée par la réadaptation de l’adolescent antisocial, je ne peux que fortement recommander la lecture de cet ouvrage qui atteint les objectifs visés, en ancrant le programme cognitivo-émotivo-comportemental dans une réalité pensée, mesurée et partagée.

CÉCILE MATHYS
Université de Liège

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