RCCJP – Volume 65.2 (2023)
La justice restaurative au bénéfice des mineurs : Une utopie en marche
Par Juliette Gagneur
L’Harmattan. 2022. 135 p.
Une lecture pratique de la Justice restaurative
L’ouvrage « La Justice restaurative au bénéfice des mineurs, une utopie en marche » de l’autrice Mme Juliette Gagneur est une proposition particulièrement intéressante. Bien que le sujet traité rejoigne celui du Dr Jessica Filippi, traité il y a peu[1], en comparant la Belgique et la France concernant l’application de la Justice restaurative appliquée aux mineurs ; il est question ici de se centrer essentiellement sur les dispositifs et pratiques des éducateurs auprès des mineurs.
En parlant des pratiques elles-mêmes, l’approche envisagée par l’autrice s’écarte également des derniers ouvrages traités s’intéressant soit à la pénologie et son évolution[2], à la question de la réinsertion et son instrumentalisation possible[3], ou encore à l’écart entre le traitement étatique et la réalité des bénéficiaires dans des contextes spécifiques[4].
Si l’article 10-1 Code de Procédure Pénale consacra la Justice restaurative en France via la Loi d’individualisation des peines en 2014, il fallut attendre le Code de la Justice pénale des mineurs du 31/03/2021 pour ouvrir aux mineurs ce droit à la Justice restauratif dans un texte spécifique (art.L13-4). Cet article qui renvoie à l’art.10-1 CPP diffère largement des articles L112-8 et suivants en lien avec un module de réparation dans le cadre des mesures éducatives judiciaires, mesures ici ordonnées par un Juge, donc sans nécessité du consentement et investissement volontaire chers à la philosophie restaurative.
La définition de l’américain Howard Zehr, que l’autrice rappelle également (p.31). La Justice restaurative est un « processus destiné à impliquer, le plus possible, ceux qui sont concernés par la commission d’une infraction particulière, à identifier et répondre collectivement à tous les torts, besoins et obligations, dans le but de réparer les préjudices et de rétablir l’harmonie sociale la meilleure possible ».
Il s’agit précisément de ce point pratique de la rencontre des personnes concernées que l’autrice envisage sous le prisme de l’éducateur en contexte judiciaire. Il s’agit dès lors d’envisager le lien entre réhabilitatif/éducatif et restauratif sans pour autant en confondre les places, mais sous une philosophie globale que le Pr Lode Walgrave appelle « Criminologie de la confiance », quêtant le champ des possibles entre perspectives motivationnels, Plan de vie des personnes, restauration des liens humains et sentiment de Justice[5].
De fait, cela rejoint la posture professionnelle et l’intérêt de l’autrice, Juliette Gagneur, et son retour d’expérience d’un stage STEMO durant sa professionnalisation à l’ENPJJ (École -française- Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse) et sa pratique restaurative à travers la mise en place d’une conférence fin 2018, puis la rédaction d’un mémoire professionnel en 2019.
Les bénéfices rappelés de la Justice restaurative sous l’angle des participants et des professionnels
Le livre permet de s’intéresser à plusieurs questions ouvertes proposées par l’autrice comme structuration des réflexions de son ouvrage (p.24-25), telles que : « de quelle manière est-il possible de mettre dans chaque mesure éducative une part de Justice restaurative ? », « en quoi l’activité de réparation est une forme de mesure justice restaurative ? », ou encore « utiliser des mesures de Justice restaurative pour les mineurs « sous main de justice » pourrait-il permettre une plus forte responsabilisation du mineur infracteur et tendre ainsi à une dynamique de désistance plus forte ? »
Si certaines questions pourraient sembler rapidement traitées, comme celle de la diminution de la récidive (p.54), il ne faut pas perdre de vue l’objectif de l’ouvrage. Des chercheurs spécialistes pourraient y relever une légère confusion entre les notions de récidive, risque de récidive et désistance, ainsi que le lien entre les facteurs en jeu limitant la récidive, à travers des conclusions synthétiques : « ensemble des facteurs associés [psychologiques, physiologiques, moraux et sociaux] tendent donc vers une diminution de la récidive. »
Même s’il est vrai que le lien entre Justice restaurative et diminution de la récidive est soumis à réflexions pour différentes questions[6], il est important de voir ici que le livre s’adresse à des professionnels désirant s’initier à la Justice restaurative, en comprendre les grands axes et surtout les aspects pratiques (processus, dispositifs, vécus). Aussi, la vision positive humaniste de l’autrice est à lire comme la transmission au lecteur professionnel de la philosophie restaurative : « si l’auteur [d’infraction] prend conscience qu’il appartient à la communauté humaine… », dans ce cadre, « les mesures de Justice restaurative, de façon plus globale, peuvent conduire vers une dynamique de désistance ».
Tout en posant un cadre rapide (légal et définitions) avant d’en venir aux éléments pratiques, l’autrice parvient à proposer une synthèse claire sur ce vaste champ. Prenons cet exemple que je recommanderai désormais, celui de la distinction intéressante entre les « inspirateurs » et les « inspirés » en matière de Justice restaurative (p.28-29) ; séparant ainsi les pratiques culturelles non théorisées et les théoriciens et praticiens occidentaux qui s’en sont saisis par la suite depuis les années 1970.
Les intéressés du domaine apprécieront le rappel clair des dispositifs (p.48 à 51) comme la médiation restaurative, la conférence restaurative, les rencontres entre détenus ou condamnés et victimes, les cercles restauratifs judiciaire et extra-judiciaires, en lien avec le Guide méthodologique de la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (p.45). Pour ces dispositifs, l’autrice prend le temps nécessaire afin d’exposer les multiples bénéfices de la Justice restaurative (p.52-54).
Les bénéfices discutés évoquent notamment la reconnaissance des participants « dans leur globalité de personnes humaines » en lien avec « un fort sentiment d’équité et de justice ». Mais au-delà d’un aspect psychologique, pour lequel est rappelé le bénéfice de la réparation émotionnelle, un mieux-être physiologique est soulevé, plus rare dans les écrits mais important pour des futurs animateurs de Justice restaurative, et la « guérison du groupe social ».
De la Belgique à la France, multiples exemples de la concrétisation des dispositifs
Afin de mettre en évidence l’opérationnalité de la Justice restaurative, l’autrice cite des exemples en Belgique (avant de revenir à la France) aidant à identifier des pratiques concrètes (p.56-80). Elle rappelle l’émergence de la Justice restaurative dans les années 2000 en Belgique et les actions du centre Gacep / SARE (Service d’Actions Restauratives et Éducatives). Ces exemples lui permettent d’illustrer de manière précise l’importance du volontariat, de la confidentialité et de l’impartialité dans le cadre de la médiation restaurative (p.60-62). Sont repris le déroulement et la mise en pratique d’une médiation restaurative (p.66-67) et l’exemple concret de la situation Emma-Gabriel au sein du processus (entretiens préparatoires, rencontre, rédaction de l’accord, bénéfices pour l’auteur et la victime, limites) (p.68-80), tout praticien appréciera cette lecture.
Après la Belgique, le cadre français est resitué avec l’inscription légale et pratique de la Justice restaurative (p.82-94). De la même manière, les objectifs généraux et spécifiques pour le mineur sont mis en avant, l’audience élargie et le processus mis en place, le consentement, les ateliers préparatoires, l’approche relationnelle usitée, jusqu’à la rencontre elle-même. Qu’il s’agisse de la médiation ou de la Conférence restaurative (p.95-116), présentée comme une « mesure efficiente, innovante et bien adaptée au mineur infracteur », l’autrice prend soin de démontrer la richesse humaine de la rencontre directe et le glissement positif possible de la réparation à la restauration.
Je conseille particulièrement le récit d’une activité de réparation directe réalisée par une éducatrice d’une unité éducative auprès de Jules, 15 ans, ayant commis des faits de harcèlement et violences physiques à l’encontre de Pierre, un autre élève. A travers cet exemple, une nouvelle fois, Juliette Gagneur s’adresse à un public professionnel, avec l’affection affirmée du rôle de l’éducateur et de ses larges possibilités : « accroît la beauté de l’œuvre des éducateurs de la PJJ » en passant d’éducateurs à animateurs de Justice restaurative
DR IRWAN DIEU
DIRECTEUR DU SERVICE DE CRIMINOLOGIE ARCA – FRANCE
[1] Sujet traité il y a peu lors d’une recension sur la Justice restaurative. Cf. E. Dieu. (2022). Retours sur l’approche comparée France / Fédération Wallonie-Bruxelles du Droit pénal des mineurs et de la Justice restaurative. Revue Canadienne de Criminologie et de Justice Pénale (RCCJP) 64(4). Ottawa : Association canadienne de justice pénale (ACJP). www.ccja-acjp.ca/pub/fr/recensions/droit-penal-des-mineurs-et-justice-restaurative-approche-comparee-france-federation-wallonie-bruxelles/
[2] Sujet traité concernant les liens entre Justice, récidive et pardon. Cf. Dieu, E. (2022). « De la récidive et du pardon, A la croisée des chemins du destin ». (Recension de l’ouvrage sous la direction de Jean Motte et Franck Ludwiczak). La Revue canadienne de criminologie et de justice pénale, 64(1). Ottawa: ACJP www.ccja-acjp.ca/pub/fr/recensions/de-la-recidive-et-du-pardon-a-la-croisee-des-chemins-du-destin/
[3] Sujet traité lors d’une recension précédente à propos des alternatives à la prison. Cf. Dieu, E. (2021). « Alternatives à la prison ». [Recension de l’ouvrage de Sylvain Lafleur]. Revue canadienne de criminologie et de justice pénale 63(2). Ottawa: ACJP www.ccja-acjp.ca/pub/fr/recensions/alternatives-a-la-prison/
[4] Sujet traité lors d’une recension précédente. Cf. Dieu, E. (2023). « Comment sortir de la violence ? Enjeux et limites de la Justice transitionnelle », retour sur les réflexions de S. Lefranc. Revue Canadienne de Criminologie et de Justice Pénale 65(1).Ottawa : ACJP.
[5] Sujet traité au sein du dossier spécial scientifique en français dirigé par Dieu, E., Zinsstag, E., Ward, T. (2021). « Criminologie de la confiance et Good Lives Model (GLM) ». Revue Internationale de Criminologie et de Police Technique et Scientifique (RICPTS) 2: https://www.polymedia.ch/fr/102620/
[6] Sujet traité : Dieu, E. (2020). Brèves réflexions autour de la Justice restaurative et de la récidive : pour éclaircir la confusion possible avec la place des CSR en France. Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1(1) : DOI: 10.3917/rsc.2001.0059