RCCJP – Volume 65.2 (2023)
Narcos PQ : La route de la cocaïne de la Colombie à nos rues
Par Bureau d’enquête du Journal de Montréal et Félix Séguin
Montréal : Les Éditions du Journal. 2022. 296 p.
La prémisse du livre Narcos PQ : La route de la cocaïne de la Colombie à nos rues est la rencontre entre un journaliste, Félix Séguin, et une source – Angel – affirmant travailler pour les cartels colombiens. Cette rencontre devait permettre à la source de raconter sa vie et lever le voile sur l’une des organisations criminelles les plus riches et craintes au monde. Ce livre est le pendant de plusieurs publications, dont un balado du même nom.
Bien qu’introduit et présenté comme un livre portant sur les révélations de la source, ce livre porte en fait sur le crime organisé québécois des 70 dernières années. Les auteurs retracent l’évolution du crime organisé au Québec pour décrire les différents clans et organisations qui se sont partagé la vente de drogues illicites au Québec. Au travers de cette histoire, les auteurs présentent les grands et les petits acteurs du crime organisé québécois en moult détails, incluant dans la plupart des cas les détails de leur mort prématurée. Le clivage entre le premier chapitre portant sur la source, Angel, et le reste du livre est assez frappant, et décevant. L’histoire du crime organisé au Québec a en effet été relatée dans plusieurs ouvrages et publications. Elle a également fait l’objet de commissions d’enquête et de rapports gouvernementaux au fil des ans. Il existe donc peu de zones d’ombres qui attendaient d’être découvertes. Présenter cette histoire dans un livre ne contribue donc pas de manière significative aux connaissances actuelles sur le crime organisé et son histoire. Ceci dit, les auteurs font un travail remarquable pour recenser les différents acteurs au fil des ans et utilisent des sources appropriées, et nombreuses. Les auteurs sont au fait des derniers développements dans le monde du crime organisé et mentionnent même les récentes ventes de drogues illicites sur le darkweb. Les auteurs devraient donc être louangés pour cette recension qui rassemble, en un même document, des informations autrefois disparates sur le crime organisé québécois.
Cette recension laisse cependant le lecteur quelque peu sur sa faim. En effet, le premier chapitre du livre laisse entendre que l’ouvrage porte sur les révélations de la source sur le crime organisé international, et québécois. La source partage bien quelques révélations importantes, par exemple que les vols commerciaux sont toujours utilisés pour faire entrer des drogues illicites au Canada depuis la Colombie. Cela soulève des questions sur la sécurité dans les aéroports et l’efficacité des contrôles mis en place pour détecter des drogues illicites, mais également des explosifs et d’autres objets de contrebande. Les révélations sont cependant peu nombreuses, ce qui surprend étant donné la place qu’occupe la source dans le crime organisé. Ce dernier gère en effet l’importation de drogues illicites vers le Canada et connait les rouages internes de son organisation. Il aurait été ici pertinent et intéressant de décrire la structure de son organisation, les scripts de ses opérations et le rôle de la violence dans ce milieu en Colombie, et au Canada. Les témoignages de la source ne représentent cependant qu’une minorité des pages du livre, et plusieurs d’entre elles sont passées à décrire le vécu des auteurs plutôt que celui de la source.
Tout de même, ce livre rappelle les défis importants rencontrés par les membres du crime organisé. Ces membres doivent composer avec une pression importante des forces policières et de leur compétition, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur organisation. Les risques sont omniprésents et constants, et le stress et l’anxiété font partie du quotidien des membres du crime organisé. La vie de la source décrite dans le livre n’est pas présentée de manière glorieuse et légère. L’emphase est plutôt mise sur les défis rencontrés par la source, et les difficultés qu’il a rencontrées au cours des années. En ce sens, le livre apporte une deuxième contribution importante sur la violence et la faible qualité de vie des délinquants qui choisissent de s’impliquer dans le crime organisé. Le livre ouvre la porte à de nombreuses recherches et questions pour comprendre la résilience dans le milieu. Devant tant de défis, pourquoi maintenir son implication dans le crime organisé? Quels sont les avantages que les membres retirent de leur implication? En jouant sur ces mécanismes, il pourrait être possible de développer de nouvelles stratégies d’intervention pour changer les trajectoires criminelles des membres du crime organisé.
Le livre Narcos PQ ne s’adresse pas spécifiquement au monde académique. Il ne contribue par ailleurs pas autant qu’il aurait pu en ne présentant que quelques révélations de la source. Le livre représente cependant un sommaire intéressant et imposant des acteurs ayant été impliqués dans le crime organisé au cours des dernières années, et lève le voile, très partiellement, sur le trafic de cocaïne entre la Colombie et le Canada. Pour ces deux aspects, ce livre attend la cible et intéressera un public large, averti ou non.
DAVID DÉCARY-HÉTU
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL