skip to Main Content

La délinquance sexuelle : au-delà des dérives idéologiques, populistes et cliniques

Par Patrick Lussier
Québec : Presses de l’Université Laval. 2018.

La Délinquance Sexuelle du professeur Lussier est un ouvrage remarquable, unique en son genre, qui offre aux lecteurs francophones l’opportunité de repenser le phénomène de la délinquance sexuelle. Traditionnellement, les ouvrages consacrés à la délinquance sexuelle, qu’ils soient rédigés en français ou en anglais, recourent principalement aux perspectives psychiatrique et psychologique afin de décrire et d’expliquer le phénomène. Le recours à ces approches tend à renforcer les croyances erronées selon lesquelles tous les individus ayant commis un crime sexuel souffrent d’un trouble psychosexuel, qu’ils sont des prédateurs multirécidivistes et, qu’en conséquence, la réduction du nombre de crimes sexuels passe nécessairement par l’amélioration de la prédiction de leur risque de récidive sexuelle. En prenant notamment appui sur les résultats empiriques des deux dernières décennies, le professeur Lussier démystifie ce type de croyances et propose une façon alternative de penser la prévention des crimes sexuels. Pour cela, il privilégie une approche criminologique de la délinquance sexuelle dans laquelle les facteurs ayant favorisé la commission d’un crime sexuel sont la conséquence d’interactions entre les caractéristiques des individus et celles de leurs environnements sociaux successifs dans lesquels ils évoluent au cours de leur développement, de la petite enfance à l’âge adulte. En identifiant la présence ou l’absence de facteurs de risque ou de protection lors des différentes phases de développement des individus, le professeur Lussier indique qu’il est possible de mieux comprendre pourquoi certains individus tendent à s’engager, et à se désengager, dans une trajectoire de vie menant à la commission d’un crime sexuel, et ainsi d’intervenir en amont. En conséquence, plutôt que de concentrer les ressources sur la gestion d’un groupe d’individus ayant un faible taux de récidive sexuelle, soit les individus condamnés pour avoir commis un crime sexuel, le professeur Lussier indique qu’il serait davantage pertinent de les concentrer sur l’identification et l’encadrement des individus qui tendent à s’inscrire dans une trajectoire de vie les menant à la commission d’un premier crime sexuel. Ce changement de paradigme, de la gestion du risque correctionnelle à la gestion préventive, implique une nouvelle façon de penser le phénomène dans sa globalité, que cela soit aux niveaux de la santé, des politiques criminelles ou de la communauté.

Ce livre est composé de 11 chapitres permettant d’appréhender la délinquance sexuelle dans sa globalité : de l’explication scientifique du phénomène à sa gestion politique, correctionnelle, clinique et communautaire. Le chapitre 1 définit ce qu’est la délinquance sexuelle en la présentant notamment comme étant un phénomène multidimensionnel : les violences sexuelles, les inconduites sexuelles et l’exploitation sexuelle. Ce chapitre est particulièrement instructif pour le néophyte dans la mesure où il retrace les principales étapes de 60 années de recherches scientifiques mais surtout parce qu’il confronte les mythes, les fausses croyances et les conclusions erronées à la réalité des résultats empiriques sur le sujet. Le chapitre 2 contextualise dans le temps et l’espace les différentes constructions sociolégales du « délinquant sexuel ». Le professeur Lussier identifie quatre conceptualisations qui ont influencé notre façon de percevoir et de prendre en charge ces individus : celle du déviant sexuel caractérisé par un problème de santé mentale, celle du misogyne en colère, celle du prédateur sexuel récidiviste et celle, d’actualité, de l’individu occupant une position de pouvoir ou d’autorité sur sa victime.

Le chapitre 3 présente les principales hypothèses, théories et modèles explicatifs de la délinquance sexuelle. Le professeur Lussier y souligne l’absence de consensus en ce qui concerne les mécanismes de développement qui sont à l’origine du phénomène, les limites relatives aux études réalisées dans le domaine ainsi que le manque d’études longitudinales.

Le chapitre 4 initie le lecteur à la criminologie développementale et définit les principaux paramètres qui singularisent le parcours des individus ayant commis un crime sexuel (âge de début et de fin, durée, fréquence, variété, activation, escalade, abandon). Dans ce chapitre, le parcours de vie des « délinquants sexuels » est avant tout définis par une succession de comportements antisociaux plutôt que par une spécialisation en crimes sexuels.

Le chapitre 5 présente les trajectoires qui mènent à la délinquance et à la commission d’un crime sexuel. L’un des éléments clés de ce chapitre consiste à intégrer le fait que ces trajectoires ne s’activent pas toutes au même stade de développement de l’individu et que les facteurs précurseurs varient en fonction de l’expérience subjective de chaque individu. Le professeur Lussier conclut ce chapitre en indiquant qu’il est trop tôt pour statuer sur les facteurs de risque et de protection propre à chacune de ces trajectoires.

Les chapitres 6, 7, 8 et 9 confrontent les stratégies sociétales de politique criminelle à la réalité des connaissances empiriques. Le chapitre 6 contextualise l’émergence des registres publics de délinquants sexuels et en réalise une excellente critique structurée. Le professeur Lussier souligne la diversité d’effets collatéraux que peuvent engendrer de telles mesures sur l’individu et sa famille (éviction, perte d’emploi, insultes, ostracisme, victimisation). Ces effets peuvent constituer des obstacles à leur réinsertion sociale et être contreproductif en matière de prévention de la récidive. Les chapitres 7 et 8 sont complémentaires. Le premier contextualise l’évolution de l’évaluation du risque de récidive criminelle et souligne la nécessité de privilégier une approche centrée sur la personne plutôt que sur les variables, et cela, afin de considérer l’évolution du risque de récidive d’une personne au cours de la trajectoire pénale, le second, questionne la nature et la validité de la mesure de la récidive sexuelle.

Le chapitre 9 met en lumière l’évolution des pratiques correctionnelles tout en contextualisant ce glissement vers la gestion du risque. Le professeur Lussier met en évidence les résultats prometteurs des traitements spécialisés pour délinquants sexuels, notamment les thérapies spécialisées d’orientation cognitivo-comportementale. Cependant, afin de valider les effets de ce type de prise en charge, le professeur Lussier souligne la nécessité de recourir à des études expérimentales; études qui posent des problèmes éthiques considérables en milieu correctionnel. Le chapitre 10 passe en revue l’état des connaissances actuelles sur l’abandon de l’activité criminelle générale et postule que les processus dynamiques à l’origine du désistement général devraient être les mêmes que ceux qui sont à l’origine du désistement des individus ayant commis un crime sexuel. Le professeur Lussier dénonce le manque d’études sur le sujet. Ce qui nous renvoie à l’un de ses questionnements : pourquoi si peu de chercheurs de la psychologie correctionnelle s’intéresse au phénomène de la non-récidive ?

Finalement, le chapitre 11 préconise une refonte des stratégies, mesures et politiques mises sur pied au profit du développement d’un plan stratégique de prévention arrimé à un programme de recherche continu, rigoureux, intégré et multidisciplinaire. Ainsi, le professeur Lussier propose d’en terminer avec les stratégies fondées sur des mythes, de fausses croyances ou des conclusions erronées et d’entamer un travail de restructuration afin de penser et solutionner une problématique multidimensionnelle complexe à partir des résultats scientifiques.

L’ouvrage du professeur Lussier est un incontournable pour toute personne préoccupée par l’amélioration de notre bien-être collectif. Il permet de comprendre l’origine de la délinquance sexuelle et de comprendre pourquoi ce phénomène ne devrait pas s’estomper si nous conservons les stratégies préventives et de gestions mises en place jusqu’à présent. Sans minimiser les avancées réalisées au cours des dernières décennies, le professeur Lussier propose une nouvelle voie de recherche qui devrait améliorer nos moyens de prévention et de prise en charge concernant aussi bien les individus s’inscrivant dans une trajectoire menant à la commission d’un crime sexuel que ceux ayant déjà été condamnés pour la commission d’un tel crime. Le professeur Lussier fournit un ouvrage de référence, rigoureux, clair et précis, qui constitue une lecture indispensable aux intervenants, chercheurs et étudiants désireux d’acquérir les connaissances et les réflexions nécessaires afin de repenser la délinquance sexuelle. Cet ouvrage ne devrait pas être limité au public francophone.

JONATHAN JAMES
Université de Montréal

Back To Top
×Close search
Rechercher