RCCJP – Volume 66.3
Émergence insoumise : Réflexions sur la persistance du racisme systémique envers les femmes autochtones
Par Cyndy Wylde
Wendake, Québec : Éditions Hannenorak. 2024. 72 p.
L’autrice est originaire de Pikogan[1] et a travaillé pendant 25 ans pour le Service correctionnel du Canada (SCC). Actuellement, doctorante en études autochtones à l’université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et professeure à l’École de travail social à l’Université d’Ottawa, elle nous présente un bref essai percutant sur la situation des femmes autochtones et plus particulièrement celles qui se retrouvent dans les pénitenciers canadiens, ceci dans le but de « stimuler la réflexion, (d’)encourager le dialogue, (de) sensibiliser et (de) catalyser les changements positifs, surtout en faveur de l’égalité et de la dignité » (p. 8).
Cyndy Wylde débute son analyse par une mise en contexte de son parcours académique, celui d’une autochtone consciente des répercussions de son statut sur sa propre vie. Pour ce faire, elle relate ses premières années au sein du SCC confrontée au fonctionnement d’un système qui l’interpellait sur ses origines ethniques et sur la situation des Autochtones incarcérés. Surtout qu’aucun gestionnaire du SCC ne répondait à ses questions. C’était comme elle dit si bien : « une discussion à sens unique » (p. 22 et 30).
Sa nomination comme agente de développement auprès de la collectivité autochtone lui fait réaliser ce qu’est en fin de compte le SCC : une « organisation patriarcale et coloniale, sur toute la ligne! Le SCC ne veut pas changer; le SCC ne veut reconnaître qui que ce soit » (p. 30). Dans la conclusion, elle écrit : « Longtemps, j’ai pensé qu’il faudrait changer environ 80% du personnel qui travaille dans les services correctionnels tellement il devient imprégné de l’idéologie punitive qui y règne. Il y a cet automatisme qui se développe, qui fait qu’on applique systématiquement un paquet de politiques et de règles, sans se demander si c’est correct, si ça correspond à telle ou telle population carcérale et même si, minimalement, c’est humain comme traitement » (p. 64). C’est dans ce contexte qu’elle prend sa retraite après « vingt-cinq ans de service jour pour jour, pas une journée de plus », et comme elle le dit, avec « un mélange complexe de soulagement et de colère » (p. 33).
L’essayiste critique les suites, ou plutôt l’absence de suite, aux multiples enquêtes concernant la situation des Autochtones et des femmes autochtones au sein de la société canadienne, et conclut avec raison avec un « ça donne quoi » (p. 40). C’est face aux situations qu’elle décrit et devant les « positions coloniales, voire paternalistes » du gouvernement du Québec, que transparait son indignation et sa « révolte intérieure » (p. 42).
Nous savons pertinemment que les nations autochtones vivent d’un bout à l’autre du pays dans des conditions particulières inhérentes au « traumatisme historique lié à la colonisation, aux pensionnats autochtones et à d’autres formes d’oppression ». Ce qui nécessite impérieusement de « connaître son histoire » pour intervenir efficacement qu’on résume par passer à l’action (p. 54).
Soulignons une lacune importante à nos yeux : l’analyse de Cyndy Wylde pèche par un manque de prise en compte de la dimension politique du système de justice pénale et criminelle. On se serait attendu à ce que son parcours au sein de SCC lui ait permis de comprendre l’ensemble des rouages du système et de percevoir que « les statistiques scandaleuses en matière de pauvreté, d’accès au logement, d’accès aux services sans discrimination » n’affectent pas seulement les Autochtones mais aussi une majorité des personnes qui sont happées par le système de justice et qui se retrouvent en prison ou dans un pénitencier (p. 42).
Son expérience carcérale aurait dû lui permettre de constater que peu ou pas de médecins, d’avocats, d’ingénieurs, d’hommes d’affaires, de professionnels, noirs, arabes, blancs ou autochtones, sont en prison, et que par conséquent, comme elle le souligne « le changement passe par l’éducation » non seulement des Autochtones, mais aussi de tous et chacun (p. 65).
Au final, cette autobiographie réflexive mérite d’être lue par toutes les personnes intéressées de près ou de loin par le système de justice pour mieux comprendre les arguments, les revendications et les propositions de Cyndy Wylde.
JEAN CLAUDE BERNHEIM
EXPERT EN CRIMINOLOGIE – QUÉBEC
[1] Pikogan est une communauté autochtone de la Première Nation Abitibiwinni, une Première Nation algonquine, située à environ 3 kilomètres d’Amos au Québec.