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Cellule 8002 vs Mafia / L’histoire jamais racontée

Par Daniel Renaud
Montréal : Les Éditions La Presse. 2016.

Un « bon » journaliste dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’économie … ou de la justice pénale est un professionnel qui possède des « talents cachés » de sociologue, de psychologue, d’économiste, de juriste … ou de criminologue. En effet, un « bon » reportage, un « bon » article, un « bon » livre reposent sur la recherche réussie de documents inaccessibles pour le commun des mortels, sur des entrevues avec des témoinsclés de tel ou tel événement, sur de l’observation participante dans certains milieux sociaux et criminels, et sur « un peu de chance », évidemment. Or, voici qu’un journaliste de ce calibre vient de publier un tel livre: « Cellule 8022 vs Mafia ». Certains juristes, certains criminologues, certains universitaires au sens large, ont malheureusement la mauvaise habitude de diminuer tout de go la valeur de ces livres dits « populaires », alors qu’il faut d’abord lire et apprécier de tels livres avant de les condamner comme nonvalables, comme nonscientifiques. Pourtant, la recherche de la vérité repose d’abord et avant tout sur la qualité des données recueillies, ce que quelques livres « grand public » réussissent assez bien à faire. C’est le cas de ce livre de Daniel Renaud.

L’auteur est un journaliste aux affaires criminelles qui a fait carrière à la radio, à la télévision, dans la presse écrite et d’autres médias sociaux. Il est déjà l’auteur d’un « bestseller »: « Raymond Boulanger, le pilote mercenaire », publié en 2013. Journaliste reconnu et respecté, même par les criminologues de l’Université de Montréal, ce qui n’est pas peu dire, les affaires policières sont pour lui « une passion ». Parlons donc de ce « livre passionnant ». Un livre sur la Mafia de Montréal, mais également de l’ensemble du Québec et du Canada, et même, de par ses ramifications, des ÉtatsUnis, en particulier de la Mafia de New York. Il s’agit de l’histoire inédite d’enquêteurs qui ont combattu le crime organisé sur son propre terrain à coups de provocations, de filatures spectaculaires et de gestes d’éclat. L’enquête « Colisée », dont ils ont été des acteurs clés, a changé à tout jamais le visage de la mafia montréalaise, et son impact se ressent toujours, dix ans plus tard. Elle a été, bien malgré elle, le catalyseur d’une sanglante guerre intestine qui mine le crime organisé montréalais, québécois, canadien et américain encore aujourd’hui. Le 22 novembre 2006 avait lieu la plus grande frappe antimafia de l’histoire au Canada. Si l’enquête « Colisée » a marqué les annales du crime organisé au pays, elle ne s’est toutefois pas déroulée sans heurt. Pendant que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) cherchait à avoir la tête de l’insaisissable parrain de la mafia, Vito Rizzuto, en l’attaquant sur sa fortune, l’enquête s’est mise à piétiner et aurait pu se retrouver dans un culdesac. C’est une équipe d’enquêteurs, la « Cellule 8002 », qui a sauvé la mise. Faisant figure de négligés au départ, les « mauvais garçons de l’enquête Colisée » ont effectué d’importantes saisies de stupéfiants et prouvé les principales infractions qui ont envoyé les lieutenants de la mafia montréalaise derrière les barreaux.

L’enquête « Colisée » a conduit à l’arrestation de soixantetreize (73) personnes, dont le parrain de ce clan sicilien célèbre, Vito Rizzuto, et du patriarche Nicolo Rizzuto. Filature, écoute électronique, policiers incognito dans des restaurants et sur des terrains de golf fréquentés par la mafia, micros cachés … Daniel Renaud raconte cette histoire vraie dans un récit digne des meilleures séries policières. Son travail est le fruit de dizaines d’heures d’entrevues avec d’exenquêteurs et de nombreuses sources anonymes policières, judiciaires et criminelles. Il a également utilisé quantité de documents d’informations grappillées au fil des années dans des « corridors » ou des « endroits discrets », selon ses propres mots. Dans son livre, Daniel Renaud expose d’abord les pièces maîtresses du grand puzzle mafieux et ses ramifications, que les policiers ont ensuite patiemment détricotées. Au terme du récit, il conclut en partageant les réflexions des policiers qui, 10 ans plus tard, ne s’entendent pas toujours sur les leçons et constats à tirer de cette grande enquête qui a changé à tout jamais le visage de la mafia montréalaise et celle du Québec et même du Canada tout entier. Encore aujourd’hui, l’impact de « Colisée » est indéniable et continuera de se faire sentir des années durant. Sur ce point, les enquêteurs sont unanimes.

Mentionnons qu’une série de quinze pages de photos d’époque fort intéressantes (page 193 et s.), ainsi qu’un organigramme fort bien fait des événements et des personnages impliqués (page 240 et s.) s’ajoutent au plaisir du lecteur. Elles sont très pertinentes et ne relèvent pas d’un « sensationnalisme » de mauvais aloi. L’auteur a réussi son pari: un « bon livre populaire » qui respecte les faits et qui, en conséquence, contribue à la connaissance et au savoir si chèrement recherchés par les universitaires …

ANDRÉ NORMANDEAU
Université de Montréal

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