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MÉMOIRE AU

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA
PERSONNE DE LA CHAMBRE DES COMMUNES
41e législature, 2e session

Projet de loi C-32
Loi sur la Charte des droits des victimes

Mémoire présenté par
l’Association canadienne de justice pénale
25 septembre 2014

 

À propos de l’Association canadienne de justice pénale

L’Association canadienne de justice pénale est fière de présenter ce mémoire sur le projet de  loi C-32, Loi sur la Charte des droits des victimes, au Comité permanent de la justice et des  droits de la personne de la Chambre des communes.

L’ACJP est l’une des plus anciennes organisations non gouvernementales de professionnels et de personnes voués aux questions de justice criminelle au Canada, ayant commencé ses activités en 1919 et ayant témoigné devant ce comité à plusieurs reprises. Notre association regroupe tout près de 700 membres et publie la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale, Actualités – Justice, le Répertoire des services – Justice et le Répertoire des services aux victimes d’actes criminels. Nous organisons également le Congrès canadien de justice pénale aux deux ans.

Introduction

L’Association canadienne de justice pénale (ACJP) estime qu’il faut prendre des mesures pour répondre aux besoins des victimes, dans la mesure du possible, tout en respectant les droits de toutes les parties du système de justice pénale.

Dans leur processus de guérison, les victimes ont besoin de participer pleinement au processus de justice pénale, c’est-à-dire de pouvoir, notamment, affronter les responsables du tort causé, de même qu’avoir accès rapidement à des renseignements justes sur les processus. Par ailleurs, il est reconnu que toutes les mesures possibles devraient être prises pour s’assurer que toute participation de la part de la victime est libre de toute victimisation ultérieure.

À l’heure actuelle, le Code criminel permet aux victimes de faire des déclarations en cour. Ces déclarations doivent porter sur le tort causé aux victimes, leurs pertes et les répercussions à long terme de l’infraction sur leur vie.

Les délinquants ne devraient pas pouvoir tirer profit de leurs actes criminels aux dépens des victimes. Par conséquent, l’ACJP appuie les ordonnances de dédommagement, si possible. De plus, les commissions provinciales d’indemnisation des victimes et autres programmes provinces devraient aider les victimes d’actes criminels en répondant à leurs besoins financiers, émotionnels et physiques urgents.

Les victimes devraient avoir accès à tous les services appropriés, notamment à des experts en réduction des traumatismes. Nous favorisons grandement la médiation entre les victimes et les délinquants pour tenter de réparer les torts subis par les victimes et renforcer la responsabilisation, la réhabilitation et la réintégration des délinquants.

Pour toutes ces raisons, l’ACJP propose, au lieu du projet de loi C-32 qui mise surtout sur les droits, la création de la Charte canadienne des services aux victimes, qui établirait et décrirait les services essentiels pour les victimes, comme les services de thérapie, de soutien, d’éducation et d’information, ainsi que des dédommagements et indemnisations réalistes. À notre avis, cette charte devrait se fonder sur un accord fédéral-provincial-territorial sur des normes minimales nationales concernant les services aux victimes et faciliter l’élaboration de méthodes originales de prestation de ces services.

Contexte de l’analyse

Il n’est pas d’hier que le milieu de la justice se creuse la tête pour comprendre la dynamique associée à la victimisation et aux tentatives de réparation du tort causé par l’acte criminel, et ce n’est pas près de cesser. Trop souvent, par le passé, les victimes ont ressenti de l’injustice et de l’impuissance à changer le système. Il n’y a qu’un pas entre ces sentiments et des sentiments de frustration et d’amertume, c’est-à-dire exactement l’opposé de ce que la justice devrait apporter.

La discussion publique sur le projet de loi C-32, Loi sur la Charte des droits des victimes, permet une direction perspicace et progressive dans le domaine de la victimisation. L’Association criminelle de justice pénale veut faire partie de ce mouvement et vous soumet l’analyse suivante.

Analyse

Le but premier du système de justice pénale est d’abord et avant tout la recherche de la vérité, c’est-à-dire établir officiellement à un degré élevé de certitude si l’accusé a enfreint les lois de la société et, dans l’affirmative, déterminer alors une mesure proportionnée de responsabilisation au nom de la société, y compris de la victime.

Puisque le but premier du système de justice pénale est la recherche de la vérité, il ne peut compenser entièrement, ou même adéquatement, les pertes personnelles et les souffrances des victimes. Le système n’a pas été conçu pour cela. L’ACJP estime que les victimes sont des participants particuliers au système de justice pénale, dont la voix et l’expérience sont importantes pour déterminer un certain nombre de points dans le processus. De plus, les victimes méritent d’être entendues et comprises, respectées et traitées avec dignité. Toutefois, la majorité du soutien et des services nécessaires pour réparer le tort subi par les victimes se trouvent uniquement en dehors du système de justice pénale.

Le projet de Charte canadienne des droits des victimes, avec sa terminologie axée sur les droits, perpétue la fausse prémisse selon laquelle les victimes impliquées dans le système de justice pénale sont au coeur d’une perpétuelle lutte avec les accusés et les délinquants, qui oppose les « droits » des victimes aux « droits » des accusés et des délinquants. Étant donné que le droit à un procès équitable et d’autres droits garantis par la Charte pour les accusés et les délinquants sont inscrits dans la Constitution, s’il y a une telle lutte, les soi-disant droits des victimes, inscrits uniquement dans une loi, seront toujours subordonnés aux droits constitutionnels. Ce paradigme du « conflit des droits » laisse aux victimes le sentiment de s’en sortir perdantes et que leurs droits ont été bafoués.

La notion même de Charte canadienne des droits des victimes semble en contradiction avec ce que nous comprenons être la nature et le but d’une charte des droits. Si l’on prend, par exemple, la Déclaration canadienne des droits, la Charte canadienne des droits et libertés ou même la Déclaration des droits, aux États-Unis, tous ces documents garantissent les droits et les libertés fondamentales de la personne pour tous les membres de la société, pas seulement un petit groupe, aussi méritant soit-il.

Les « droits » promis dans la Charte canadienne des droits des victimes ne visent que les victimes d’actes criminels et, en fait, que les victimes au sens de la définition très restreinte de cette charte. De plus, après examen du projet de loi, ces « droits » semblent être des droits sans recours. Les droits sans recours – mécanismes d’application efficaces – ne semblent être que des promesses. Par ailleurs, il faut souligner que la majorité des droits inscrits dans la charte des droits des victimes semblent déjà exister dans la loi et les politiques pertinentes.

L’ACJP demande au gouvernement d’adopter plutôt une charte sur les services aux victimes. De plus, nous souhaitons également souligner certains aspects du projet de loi C-32 qui inquiètent nos membres. Compte tenu du grand nombre d’amendements proposés au projet de loi C-32, il n’est pas pratique d’en faire l’énumération complète ici. Nous nous concentrerons plutôt sur les points suivants, qui illustrent bien nos préoccupations.

Examples

Projet de loi omnibus et modifications à la Loi sur la preuve au Canada
En plus de la Charte canadienne des droits des victimes, le projet de loi C-32 propose plusieurs modifications à d’autres lois, comme le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Les articles portant sur des modifications au Code criminel dans le projet de loi C-32 sont d’ailleurs plus nombreux que les articles proposés pour la charte. Pourquoi le gouvernement sent-il le besoin de noyer sa vision politique pour les victimes avec tant d’autres modifications? L’option du projet de loi omnibus pour une importante politique sociale embrouille le sujet qui y est enterré, ce qui rend la proposition difficile à distinguer et à apprécier.

Par exemple, l’ajout d’une modification législative majeure aux dispositions sur le fait qu’une personne soit habile ou contrainte à témoigner contre son conjoint[i]. Bien que cette modification ait un certain lien avec les victimes, elle vise également un grand nombre de conjoints qui ne correspondent pas à la définition de victime. Cette modification aura des répercussions majeures sur la force, la cohésion et la confidentialité de la relation matrimoniale. Elle soulève aussi de nombreuses questions politiques entourant les couples homosexuels et les conjoints de fait. Une telle modification pouvant avoir des conséquences sociales larges devrait faire l’objet d’une consultation, d’un examen et d’un débat à elle seule, plutôt que d’être combinée avec un grand nombre de modifications plus ou moins connexes.

Dispositions dérogatoires et conséquences:

Le projet de loi C-32 tente de donner à sa charte un statut « quasi constitutionnel » de préséance par rapport à la plupart des autres lois fédérales[ii]. Ce statut « quasi constitutionnel » perpétue la fausse notion, ou dichotomie, selon laquelle au sein du système de justice pénale, il existe une lutte ou un conflit sans relâche entre les droits des accusés et les droits des victimes. La vérité, c’est que le droit à un procès équitable pour l’accusé est un droit constitutionnel garanti par la Charte et que, par conséquent, s’il y a un conflit, le droit à un procès équitable aura toujours le dessus sur des droits garantis dans une loi, même des droits « quasi constitutionnels ». Il ne faudrait pas que les victimes soient mal informées à ce sujet.

De plus, comme il est proposé que la Charte des droits des victimes « l’emporte » sur presque toutes les autres lois fédérales, nous nous interrogeons à savoir si on a pensé à la possibilité de répercussions ou conflits inattendus avec d’autres lois fédérales. Par exemple, les droits à l’information, à la protection, à la participation et au dédommagement prévus dans le projet de loi C-32 pour les victimes pourraient bien être en conflit avec :

  • des mesures prises par le gouvernement à la suite d’une urgence nationale, conformément à la Loi sur les mesures d’urgence;
  • des poursuites pour fraude électorale, conformément à la Loi électorale du Canada;
  • des mesures de rechange proposées par la Couronne, conformément à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

De même, il pourrait y avoir des conflits en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire ou les choix de l’accusé en vertu du Code criminel. Par exemple :

  • l’accusé pourrait choisir un procès devant un juge seulement, tandis que la victime préfèrerait un procès devant jury;
  • si la défense ou la Couronne demande une enquête préliminaire, il se peut que la victime n’en veuille pas;
  • la victime pourrait ne pas être d’accord avec une requête de l’accusé ou de la Couronne pour changer le lieu de l’audience.

Il risque d’y avoir beaucoup de litiges et de conséquences inattendues en raison des conflits entre la Charte des droits des victimes, avec sa priorité, et d’autres lois fédérales.

Définition de victime
La définition de « victime » dans le projet de loi C-32, avec toutes ces exclusions, est trop limitative. Nous recommandons que, si le projet de loi est adopté, le gouvernement envisage d’inclure d’autres types de victimes, plus particulièrement tous les témoins vulnérables, les premiers répondants ayant subi des dommages en raison de l’infraction, et les membres de la famille de l’auteur de l’infraction. En ce qui concerne ces derniers, il est important de se rappeler que, souvent, les actes criminels sont commis par un proche ou un membre de la famille, pas toujours par un étranger. De plus, comme le projet de loi C-32 se concentre de toute évidence sur les victimes d’actes criminels, il serait plus approprié, à notre avis, de changer le nom de la Charte canadienne des droits des victimes pour la « Charte canadienne des droits des victimes d’actes criminels », afin de préciser qu’il y a un grand nombre de victimes d’autres genres de tragédies dont les besoins ne sont pas visés par le projet de loi C-32.

Déclarations des répercussions sur la collectivité
Dans le système de justice pénale, il existe déjà un groupe d’acteurs chargé d’évaluer les dommages causés à la collectivité par les actes criminels. Ces acteurs – juges, procureurs de la Couronne, personnel correctionnel et personnel des libérations conditionnelles – ont acquis l’expertise nécessaire pour poursuivre, imposer une peine et exercer la justice au nom de la collectivité. Ils agissent au nom de cette dernière en tant que tiers impartial entre les délinquants et la collectivité et les victimes. Il faut absolument que ces « experts » choisis soient bien renseignés, grâce à des années de formation et des mises à jour constantes de leurs connaissances, sur l’impact des actes criminels sur les victimes et la collectivité. Cette formation doit comprendre des connaissances scientifiques sur les diverses questions relatives à la collectivité et aux victimes.

Ressources
Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas prévu de ressources importantes pour les thérapies, l’information, le soutien et les indemnisations offerts aux victimes? Malheureusement, il semble souvent plus facile d’adopter rapidement une loi, puis d’oublier le vrai problème, plutôt que de penser à long terme et trouver de vraies solutions et des moyens efficaces de répondre aux préoccupations des victimes. Il existe certes déjà quelques services pour les victimes[iii]. Malheureusement, ces services ne sont pas accessibles universellement dans tout le Canada et ne sont de toute évidence pas complets. C’est pourquoi nous recommandons l’élaboration de normes minimales nationales pour les services offerts aux victimes (voir ci-dessous).

Position et recommandation

Plutôt que la Charte canadienne des droits des victimes, proposée dans le projet de loi, l’ACJP recommande fortement la création d’une Charte canadienne des services aux victimes pour établir et décrire des services qui pourraient vraiment réparer le tort causé. Ces services comprendraient nécessairement des éléments comme de la thérapie, de l’éducation et de l’information, un dédommagement et une indemnisation réalistes et, bien entendu, les ressources requises pour les offrir. Cette charte devrait inclure un accord fédéral-provincial-territorial sur des normes minimales nationales relatives aux services destinés aux victimes. Ces normes faciliteraient et favoriseraient le développement de méthodes originales de prestation de ces services.

Pour que la charte fasse une différence dans la vie des victimes et réponde à leurs besoins, il faudrait qu’elle prévoie les services suivants :

  1. Des services accessibles à tous les Canadiens qui répondent à une définition plus large de « victime » que celle prévue dans le projet de loi C-32. Une telle définition devrait faire l’objet de consensus national et inclure divers types de victimes, tout en étant gérable sur le plan de la prestation des services.
  2. Des services visant à établir des centres de traumatismes, partout au Canada, qui se spécialisent dans une vaste gamme d’interventions post-traumatiques et de moyens pour les victimes d’obtenir réparation.
  3. Des services qui fournissent de l’éducation sur tous les aspects du système de justice pénale (de l’enquête à la libération du délinquant) et sur le déroulement du processus.
  4. Des services qui offrent de l’information de qualité et en temps voulu aux victimes à propos des processus de justice pénale, des processus correctionnels et des processus de libération conditionnelle associés à leur statut de victime et des issues possibles de ces processus.
  5. Des services qui permettent vraiment aux victimes de participer directement et convenablement à la quête de justice relativement à leur situation personnelle (par exemple, des programmes pour aider les victimes à préparer et à déposer une déclaration des répercussions).
  6. Des services qui fournissent des formes raisonnables d’indemnisation et de dédommagement pour les victimes.
  7. Des services pour aider les victimes à voir au-delà de leur état de victime et à devenir des survivants positifs et pleinement fonctionnels, y compris des programmes volontaires de réconciliation entre la victime et le délinquant.

L’ACJP prie le gouvernement d’élaborer et de mettre en oeuvre une Charte canadienne des services aux victimes, plutôt que la Charte canadienne des droits des victimes proposée dans le projet de loi C-32. Ce dont les victimes d’actes criminels ont besoin (en fait, toutes les catégories de victimes), ce sont des services plutôt que de soi-disant « droits ». Sans accès aux services nécessaires, ces droits sont inutiles, surtout lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’une réparation véritable.

Il faudra du travail pour formuler ce que nous venons de décrire. L’ACJP serait prête à discuter du caractère approprié et exhaustif des services qui pourraient être offerts grâce à une telle charte.


[i]Voir l’excellent article à ce sujet : « Spousal competency and compellability in criminal proceedings: proposals for reform ». Bessner, Ronda. Revue canadienne de droit pénal, 18:7-37, mars 2014. (en anglais)

[ii]Voir l’article 22 du projet de loi C-32.

[iii] Voir, par exemple, Programmes et services pour les victimes d’actes criminels, ministère du Procureur général de l’Ontario : http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/english/ovss/programs.asp

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