skip to Main Content

Une brève histoire du vice au Canada

Par Marcel Martel
Québec : Les Presses de l’Université Laval. 2019.

Il s’agit ici d’un livre de quelque 300 pages au contenu historique tant dans sa présentation charnière de la Nouvelle France, de l’évolution du droit pénal et civil, tous deux intimement lié à chacune des Églises chrétiennes[1] que du pouvoir central de l’État sur les us et coutumes des peuples qui le compose. Un ouvrage aux multiples facettes pour son analyse sociologique quant à cette rencontre fractale de deux continents, entre Autochtones, colons français et britanniques. À l’histoire, au droit et à la sociologie se joignent quatre autres domaines : la philosophie pour ses nombreuses réflexions sur le sens du devoir et ses manquements à la rectitude et qui, constamment, interrogent le lecteur; la théologie pour l’encadrement des comportements et attitudes acceptés et ceux qui furent et demeurent toujours bannis puis, si l’on considère la morale en tant que prémisse aux nombreux interdits et par conséquent aux sanctions imposées au fil du temps, en pénologie, voire en criminologie.

Très riche en anecdotes échelonnées sur près de cinq siècles d’histoire, du début de la colonisation en passant par la Révolution industrielle jusqu’au projet de loi omnibus de 1967, d’une narration exemplaire, illustré de quelques gravures, dessins, caricatures et photographies, le livre marqué par une écriture au ton didactique de Marcel Martel, professeur d’histoire et  titulaire de la Chaire Avie Bennett Historica Canada à l’Université York, est un peu à l’image de ces classiques que l’on pouvait encore lire et enseigner dans les années 1950.

Divisé en quatre parties distinctes, l’auteur amorce son texte en rappelant aux lecteurs l’origine du mot vice. Un mot très français et apparemment tombé en désuétude, mais combien d’actualité à la fois dans le Code civil du Québec et en Common Law au Canada[2] lorsque l’on aborde la consommation d’alcool, de tabac et beaucoup plus proche de nous celles de drogues, des jeux de hasard liés à l’appât du gain et des problèmes de santé inhérents qui s’y rattachent.

Une brève histoire du vice au Canada est d’une actualité cuisante si l’on suit le cheminement parcouru à travers le discours religieux et étatique lié à la sexualité, à la polygamie, aux bonnes mœurs, à l’avortement, à la prostitution, au mariage, à l’effroyable condition des femmes toujours marquées sous le joug des hommes.

Après une introduction qui invite le lecteur à un bref tour d’horizon sur près de cinq siècles d’histoire canadienne, le livre s’offre aux lecteurs en quatre parties distinctes.

La partie 1, avec l’arrivée des premiers colons, relate la période de 1500 à 1700, intitulée Différents mondes, différentes valeurs. C’est la rencontre de deux cultures dans ce qu’elle a de meilleur et de pire : l’alcool, le tabac, la prostitution, l’asservissement des peuples autochtones, leur acceptation, leur résistance, la gouvernance d’un territoire sans fin sous les ordres d’un roi assis sur son trône à des milliers de kilomètres.

La partie 2, Au nom de Dieu, du roi et des colons, nous amène à comprendre comment et pourquoi la réglementation des comportements s’est exportée d’Europe en Nouvelle France. C’est la période coloniale. Véritable mainmise sur les comportements et attitudes amorcée dès 1700 et qui s’étendra jusqu’en 1850 non sans laisser de traces jusque dans les années soixante… Le poids du clerc, la morale, les interdits, la loi, les sanctions sous deux régimes successifs, français puis anglais.

La partie 3, Réussites, au pluriel, montre tout le poids et l’influence liés à la religion et à celui dominant de l’État, entre 1850 et 1920. Influence qui se fera encore longtemps sentir jusque dans la chambre à coucher de chaque foyer canadien.

La partie 4, De vices à problèmes de santé, de 1920 à nos jours, en constitue l’aboutissement. Comment interdire, réglementer, ordonner puis, sous le poids de certaines réalités, la répression, la prohibition, les condamnations et petit à petit, en réaction aux premières, les réformes, la déjudiciarisation qui ne sont pas sans entraîner les maux que nous connaissons tous aujourd’hui et qui continuent de faire débat.

Pour clore cette véritable épopée de la diversité au Canada, l’auteur nous rappelle que les hommes ont toujours tenté de s’imposer, et parfois de façon vaine, ce qui est le cas des Européens envers les peuples Autochtones. Dans sa conclusion, Marcel Martel pose des questions sans y avoir et de façon volontaire, de réponse, véritables clés qui nous poussent à mieux comprendre la régulation des comportements comme stratégie de gouvernance, y compris dans le monopole de la violence.

Seul point relevé, le titre original Canada the Good: A Short History of Vice Since 1500 paru en 2014 aux éditions Wilfrid Laurier University Press, n’apparait nulle part dans sa traduction publiée en 2015 aux Éditions Presses de l’Université Laval puis réédité en 2019.

Il s’agit toutefois d’un incontournable pour tous ceux et celles qui étudient l’évolution du droit pénal et civil au Canada, son histoire, ses avatars et son avancée fulgurante, lorsque comparé à l’Europe.

PHILIPPE BENSIMON
Criminologue


[1] Catholique, anglicane, méthodiste, baptiste et presbytérienne (NDA).

[2] Je ne prendrai ici que l’exemple du vice caché ou par consentement et en anglais vices of consent (NDA)

Back To Top
×Close search
Rechercher