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Grands procès : 38 affaires judiciaires qui ont secoué le Québec. De 1965 à aujourd’hui

Par Daniel Proulx. Préface par Yves Boisvert
Montréal : Les Éditions La Presse. 2019.

D’entrée de jeu, je dois avouer que lorsque j’ai entendu l’écrivain et scénariste Daniel Proulx lors d’une entrevue à Radio-Canada présenter son plus récent livre traitant d’affaires judiciaires marquantes, ma curiosité a été titillée. En effet, je suis l’actualité judiciaire depuis des décennies, et j’ai suivi plusieurs causes de très près. L’approche historique ayant été à la base de mon enseignement, un survol de 40 années ne pouvait que me ravir, d’autant plus que j’ai fait récemment une analyse d’une affaire qui perdure depuis près de 30 ans : l’affaire Taillefer / Duguay / Taillefer[1].

Disons que le novice en matière de procès criminel est bien servi, même agréablement surpris, par le cumul de faits étonnants, sinon époustouflants dans plusieurs cas relatés dans ce volume. En effet, il est démontré depuis longtemps que les affaires criminelles sont un révélateur exceptionnel de la nature humaine, tant de celle des accusés que des différents acteurs du système de justice criminelle. Tout ici le prouve éloquemment.

Sans nous attarder outre mesure à l’ensemble des causes, toutes plus intéressantes les unes que les autres, il faut préciser que le rôle de la cupidité et / ou de la violence des mis-en-cause est souvent stupéfiant. C’est d’ailleurs ce qui motive les médias à s’y intéresser, et les lecteurs et les auditeurs à en redemander. Dans ces récits, les victimes, quand elles ont survécu, et les accusées, sont essentiellement passifs et, d’une certaine manière, étranger à ce qui se déroule sous leurs yeux, À l’image du fonctionnement du système de justice criminelle qui leur réserve un rôle généralement secondaire dans l’ensemble du processus légal. En revanche, les acteurs principaux du théâtre de la justice que sont les procureurs de la poursuite, les avocats de la défense et finalement les juges, sont omniprésents.

Les affaires qui sont traitées dans ce livre, le sont parce qu’elles « ont secoué le Québec ». On pense notamment ici à l’affaire impliquant Claire Lortie, parce qu’elle a l’objet d’une mini-série télédiffusée en 2017, et suscitée un engouement chez les téléspectateurs. Cette histoire met en scène une avocate accusée du meurtre prémédité de Rodolphe Rousseau, retrouvé nu dans un congélateur, en juillet 1983. Le procès devant jury est présidé par le juge Jean-Guy Boilard, connu pour ses propos tranchants et des décisions étonnantes, comme par exemple, la séquestration du jury dès le début des audiences, compte tenu de la trop grande médiatisation de ce fait divers.

L’avocat de la défense n’est nul autre que le célèbre criminaliste Gabriel Lapointe. Le procureur de la couronne, Me Guy Villemure, présente une preuve solide au soutien de ses prétentions, avant de réussir à convaincre le magistrat de déplacer le tribunal à la maison de Saint-Canut, chez Claire Lortie, où aurait été commis le crime dont le mobile serait d’ordre financier (Claire Lortie, mère d’un jeune enfant de neuf mois, est plus ou moins sans le sou).

Le dernier témoin de la poursuite, l’enquêteur Gaétan Rivest, qui deviendra très critique envers la SQ après avoir quitté ses fonctions, soutient la thèse du meurtre prémédité avant de laisser la défense présenter sa preuve. Après avoir fait entendre quelques témoins secondaires, l’accusée, Claire Lortie, se présente à la barre et rend un témoignage dans lequel « elle livre sa version des faits ». Le contre-interrogatoire lui donne l’occasion de répéter qu’elle n’a pas tué Rodolphe Rousseau même si elle a nettoyé la scène de crime.

La plaidoirie de Me Lapointe est tout en douceur et insiste sur l’innocence de sa cliente. Me Villemure fait un exposé rationnel des preuves présentées. Le juge donne ses directives tout en résumant les deux points de vue opposés. Le jury entame ses délibérations le samedi, les poursuit le dimanche et est prêt à rendre son verdict le lundi. Coup de théâtre : ACQUITTÉE.

Sachant qu’il y a plusieurs dizaines de milliers de causes entendues chaque année, et qu’au Québec il y a entre 9 et 15 % des accusés qui sont acquittées (soit 4 fois plus que la moyenne canadienne)[2], en extraire 38 qui soit significative, est certainement un tour de force, d’autant plus que la très grande majorité des causes ne suscitent aucun intérêt social ou juridique, ou passent tout simplement inaperçues, tandis que d’autres ont fait jurisprudence sans qu’il s’agisse de faits spectaculaires. Pour toute ces raisons, je n’hésite pas à recommander cette lecture, avec toutefois l’importante réserve qui suit.

Nous ne saurions reprocher à l’auteur d’utiliser les comptes rendus médiatiques pour exposer les tenants et aboutissants d’une affaire criminelle[3], par contre, dans certains cas litigieux et complexes, il aurait été judicieux de consulter des documents juridiques pour éviter une certaine déformation des faits menant à une partialité qu’on peut difficilement excuser. Là où le bât blesse est le fait que Proulx ne se fie qu’au compte rendu des quotidiens, et à l’occasion d’autres médium, qui limitent leur couverture à quelques paragraphes dans un journal ou à des topos se mesurant en minutes à l’écran pour rendre compte d’une journée de témoignages. Comment, sans prendre connaissance des notes d’audience lors de témoignages cruciaux, être en mesure d’évaluer le contexte et l’ensemble d’une affaire complexe.

Mon jugement global sur la méthode suivie pour l’ensemble du livre se bases sur le compte rendu de Daniel Proulx relatif à l’Affaire Taillefer / Duguay / Taillefer, lequel est truffé d’inexactitudes et d’erreurs d’appréciation qui laissent songeur quant à la rigueur du travail effectué. Une lacune de fond qui me place dans une situation inconfortable puisqu’ayant travaillé trois ans sur l’affaire avec en bout de ligne la publication d’un livre, consulté par Proulx, je constate que celui-ci expédie mon travail par la simple phrase à l’effet que j’aurais « épouse(r) la thèse de l’erreur judiciaire », alors qu’après une minutieuse enquête j’ai plutôt « conclu à l’erreur judiciaire ». Nonobstant un conflit d’intérêt potentiel, j’estime qu’il est impérieux de relever plusieurs des errements ayant accompagné la couverture de ce procès important par la vision qu’en livre Proulx. Reprenons donc quelques points de la description de l’affaire.

Lorsque Daniel Proulx écrit : « les emprisonner à Val-d’Or suscitant des craintes, on les amène plutôt à la prison d’une ville voisine, Amos », révèle une méconnaissance du fait qu’il n’y a pas de prison à Val-d’Or et que les policiers n’avaient pas d’autre choix que d’acheminer les suspects à Amos.

Quant Proulx mentionne que « L’accusation produit ensuite quatre conversations téléphoniques entre les accusés », en fait, il s’agit d’extraits qui décontextualisent le contenu des échanges. Les avocats de la défense et les accusés ayant demandé en vain que les conversations intégrales soient présentées devant le jury.

Lorsqu’il écrit que « la ministre québécoise de l’époque (Me Linda Goupil), par une mesure exceptionnelle, demande à la Cour d’appel de rouvrir le dossier », il commet une erreur importante parce qu’elle n’a pas demandé la réouverture du dossier, mais à plutôt déclarer qu’elle « renonçai(t) au délai de prescription », tout en « se réserv(ant) le droit, sans restriction…, de plaider que (la) reconnaissance de culpabilité ne comporte aucune faute de la part de ses commettants ni ne constitue une erreur judiciaire selon les normes reconnues de notre droit ». En fait, elle estime que l’Affaire Taillefer s’est déroulée selon les règles, tout comme le procureur au dossier, Me John Tymchyk, l’a estimé après son analyse du rapport Poitras qui révélait que des dizaines de déclarations disculpatoires avaient été cachées à la défense.

Mais le plus stupéfiant concerne les propos de « L’un des six juges québécois de la Cour d’appel … Cet ancien criminaliste réputé », incidemment le juge Michel Proulx, le frère de l’auteur. Selon Daniel Proulx, « À ses yeux, la culpabilité de Taillefer et Duguay ne faisait aucun doute », il « en voulait pour seule preuve, si nécessaire, la déclaration aux policiers du père de Billy, dans les heures suivant son arrestation, quand il raconte la scène à son retour chez lui ». Pour Michel Proulx, « Les détails donnés par Laurent Taillefer ne s’inventent pas… Les policiers ne peuvent pas avoir suggéré ces faits au prévenu. Ils ne peuvent pas les avoir inventés non plus, ils sont trop vrais ».

Ces propos sont une révélation qui met en doute l’intégrité de la justice. En effet, les juges de la Cour d’appel ne doivent tenir compte dans leurs jugements que des seuls éléments qui leur sont soumis, et la déclaration de Laurent Taillefer « non signée et non initialisée… n’est pas recevable en preuve et ne sera pas reçue », parce qu’« il y a des contradictions évidentes et importantes entre les témoignages de la SQ et celui de l’accusé Taillefer… La Cour a procédé à l’examen minutieux des témoignages rendus de part et d’autre. Lorsque la Cour a à apprécier la crédibilité d’un ou de témoins, elle ne peut le faire de façon fantaisiste, sur intuition et au hasard. Le jugement de la Cour accordant la crédibilité à un ou des témoins par rapport à d’autres, doit être basé sur la preuve… Il n’y a pas de contradiction dans son témoignage (Taillefer). Son témoignage ne contient pas d’invraisemblance… Le témoin n’est pas enclin à l’exagération… La Cour tient à noter que le nombre de témoins en faveur d’une partie ou d’une autre dans un procès criminel ou quelque procès que ce soit, même se corroborant entre eux, s’il s’agit de témoins ayant un intérêt certain dans la cause, n’entre aucunement en ligne de compte » (Enquête préliminaire, juge Jean R. Beaulieu, 6 juillet 1990).

Ainsi, la déclaration de Laurent Taillefer ayant été jugée irrecevable en preuve, comment se fait-il que le juge Michel Proulx y fasse référence alors qu’il est tenu à la discrétion et à son devoir de réserve? Cela expliquerait-il le contenu du jugement qu’il a écrit en 1995 maintenant la condamnation de Billy Taillefer, en dépit des multiples erreurs commises par le juge François Tremblay?

Le préfacier Yves Boisvert aurait dû être plus au service de l’auteur qu’au service du système. Cette ambiguïté transparait dans le compte rendu de l’Affaire Taillefer / Duguay / Taillefer. En effet, comme Boisvert le souligne dans un article détaillé du 13 décembre 2003, la cour d’Appel, en 2001, n’aurait pas dû « examiner chaque élément nouveau de manière isolé », pourtant c’est bien ce qui s’est aussi passé, une première fois, lors du jugement par la cour d’Appel en 1995.

Le 26 janvier 2003, Boisvert avait déjà écrit « La question est de savoir s’il est raisonnable de penser, avec tout ce que l’on sait maintenant, peut-être deux innocents ont été condamnés. C’est un doute avec lequel un système de justice digne de ce nom n’est pas censé pouvoir vivre ». Pourtant, c’est bien encore le fait aujourd’hui puisque l’enquête policière n’a jamais été rouverte et aucune enquête publique n’a été ordonnée.

Pourquoi le juge Lawrence Poitras aurait-il demander à « rencontrer en privé dès que possible » le ministre de la Justice, Serge Ménard, « estim(ant) que nous devons, sans plus tarder, vous exposer une situation délicate découlant de l’examen » de l’affaire Taillefer / Duguay, si cette affaire n’était pas explosive?

En effet, en conclusion de son rapport, Poitras écrit : « Le choix délibéré de limiter notre investigation est justifié principalement par le fait que la Commission ne veut d’aucune façon nuire à quelque enquête qui pourrait éventuellement être menée par qui que ce soit bénéficiant des pouvoirs qui répondraient mieux que ceux de la Commission et de son personnel, au type d’enquête jugée nécessaire dans les circonstances ».

Cette mise au point me semble relever de la nécessité de rendre compte honnêtement d’un livre comme celui que présente Daniel Proulx tout en contribuant aux réflexions critiques que devraient susciter certaines affaires criminelles.

JEAN CLAUDE BERNHEIM
Université de Saint-Boniface


[1] Jean Claude Bernheim, Meurtriers sur mesure : L’énigme de Val d’Or, Montréal, Les éditions du journal, 2019, 380p.

[2] Données disponibles entre 1995 et 2006. Par la suite, Statistiques Canada a cessé de présenter les données par province, se contentant de donner un chiffre global se situant entre 3 et 4 %. Cette « censure » découle peut-être du fait que la disparité entre le Québec et les autres provinces était trop importante ? Il y aurait tout un débat à faire sur les interruptions de données concernant tout ce qui concerne l’ensemble du système de justice pénale et criminelle.

[3] Nous avons usé de la même méthodologie pour notre analyse des homicides policiers survenus entre 1960 et 1985 (Jean Claude Bernheim, Un Escadron de la mort au Québec, Montréal, Accent Grave et La Compagnie à Numéro, 2013, 266p.)

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