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L’investigation en entreprise. Prévention et détection des fraudes

Sous la direction de Bertrand Perrin et Pascal de Preux
Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, coll. « Sciences forensiques ». 2018.

« La fraude est par essence liée à l’économie. Il n’existe aucun système économique, aucune période de notre histoire, qui n’est pas associé à des cas de fraudes spectaculaires. Déjà, dans la mythologie romaine, le dieu du commerce, Mercure, était également le dieu des voleurs »[1]. Ce constat est toujours d’une actualité criante. À titre exemplatif, une récente enquête menée par un cabinet conseil auprès d’un échantillon de 245 entreprises belges issues de 33 secteurs différents a pu mettre en évidence, qu’au cours de l’année 2017, une entreprise sur cinq a été confrontée à des cas de fraude, ces mêmes entreprises perdant en moyenne 150.000 euros lors de la survenance de telles activités frauduleuses[2]. Parmi les différentes formes relevées, la fausse facture demeure, au vu de sa simplicité, la fraude la plus fréquente. Une situation qui dépasse de loin les frontières belges et européennes comme en témoignent les exemples cités par Jean-Yves Perruchoud (p. 18). Ainsi que le souligne toutefois à juste titre ce dernier, « si l’importance du problème de la fraude est indéniable, son évaluation précise est difficile. En effet, les fraudes découvertes ne constituent certainement qu’une faible partie de tous les cas existants » (p. 19).  Un constat qui n’est guère surprenant s’agissant d’une activité, à l’instar de la criminalité en général, par définition cachée.

L’objectif affiché de l’ouvrage dirigé par les juristes Bertrand Perrin et Pascal de Preux, à savoir prévenir et détecter les fraudes en entreprise, s’inscrit par conséquent dans un contexte porteur. Il est à relever que les directeurs de cette publication ont assuré bien davantage qu’un travail de coordination. Parmi les quinze chapitres que compte celle-ci, plus de la moitié a en effet été rédigée par ces deux derniers.

D’un point de vue pratique, l’ouvrage se structure en quatre parties. La première a, dans un premier temps, pour but de définir et différencier les concepts de criminalité économique, criminalité organisée et fraude en droit pénal.  Si cette dernière relève à certains égards des deux premières, elle n’en demeure pas moins distincte et difficile à conceptuellement appréhender, tant elle recouvre des réalités juridiques différentes. Distinguer la délinquance d’entreprise de la fraude des dirigeants ou de celle des employés constitue, par exemple, une première façon de classifier les fraudes (chapitre 2).

Une autre typologie des fraudes peut aussi s’opérer à travers la prise en compte des infractions pénales, des auteurs ou des victimes : (1) fraude aux états financiers (revenus fictifs, différences temporelles, sous-évaluation de dettes ou de dépenses, surévaluation d’actifs, informations financières incorrectes), (2) détournement d’actifs (encaissements ou déboursements frauduleux), (3) corruption (pots-de-vin, ententes illégales, conflits d’intérêts).

À l’exemple de celles qui mènent à la délinquance, les causes des fraudes financières sont protéiformes, qu’elles soient générales (comme l’économie de marché) ou spécifiques (comme les performances de l’entreprise). Des « reds flags » peuvent dès lors s’avérer utiles afin d’anticiper ou de détecter les fraudes, et ce en dépit du fait que « la distinction entre causes et indicateurs de fraude n’est pas toujours très claire » (p. 54). L’analyse du contexte dans lequel agit le fraudeur ne doit également pas être négligée. S’inspirant indirectement des travaux du célèbre criminologue Donald R. Cressey[3], Jean-Yves Perruchoud rappelle (p. 58) l’existence d’un mécanisme favorisant le passage à l’acte frauduleux, schématisé sous la forme d’un triangle résultant de la simultanéité et de l’interdépendance de trois facteurs : la motivation (ou la pression), l’opportunité (ou la défaillance des mécanismes de contrôle) et la justification (permettant au fraudeur de considérer que son acte frauduleux est acceptable).

De loin quantitativement le plus important, le dernier chapitre de cette première partie (pp. 67-157), rédigé à six mains par Benjamin Chapuis, Sébastien Jacquier et David Granito, a pour objet d’éclairer le lecteur sur l’apport de la comptabilité comme moyen de preuves dans une situation de fraudes. Avec beaucoup de clarté sont ainsi successivement abordés à cette fin les principes de comptabilité, l’audit des comptes annuels, les investigations criminelles et comptables et la recherche de traces dans les comptes.

Entièrement écrite par le duo constitué par Pascal de Preux et Bertrand Perrin, la deuxième partie de l’ouvrage ici recensé traite des principales qualifications pénales des fraudes au regard du droit suisse. Si la fraude peut être définie comme étant « celle qui englobe tous les moyens que l’ingéniosité humaine peut concevoir et que l’individu utilise pour obtenir un avantage en trompant autrui », il n’en reste pas moins « qu’en droit pénal, un comportement déviant ou un acte contraire à une norme juridique ou sociale ne suffit pas. Il doit s’agir d’un comportement punissable, c’est-à-dire d’une infraction » (p. 9). Sous le vocable de fraude, les auteurs appréhendent, au fil des chapitres 6 à 12, les infractions suivantes : abus de confiance, gestion déloyale et fautive, faux dans les titres, corruption, blanchiment de valeurs patrimoniales, responsabilité pénale de l’entreprise et de son chef et escroquerie. L’escroquerie, ou pour reprendre le propos évoqué par le criminologue belge Georges Kellens dans son incontournable Qu’as-tu fait de ton frère ? – titre évocateur de l’histoire fratricide de Caïn et Abel –, ce « mal grandissant qui ronge l’économie comme un cancer, en s’attaquant à son fluide vital, l’argent, de même que la leucémie, maladie pernicieuse du sang, infecte tout un organisme »[4]. Quarante ans plus tard, cette affirmation empreinte de causticité ne semble pas avoir perdu de sa pertinence.

Ce n’est qu’à partir de la troisième partie que l’on aurait – et c’est là notre principal regret – aimé plus étoffée, que l’on rentre véritablement dans le vif du sujet suggéré par le titre de l’ouvrage : l’investigation en entreprise… ou plutôt ses enjeux juridiques. Trois volets composent celle-ci : les devoirs des organes des sociétés en relation avec le système de contrôle interne, le cadre légal de l’investigation privée en matière économique au sein des entreprises et l’investigation judiciaire.

Avec une certaine originalité qui est à épingler, la quatrième et dernière partie se décline quant à elle sous la forme d’un exercice final permettant au lecteur de tester, au travers de l’analyse et la résolution d’un cas pratique, l’intégration des connaissances qu’il a pu acquérir à la lecture de cet ouvrage. Un corrigé permet de vérifier la pertinence des réponses apportées dans le cadre de cet exercice.

Malgré son ampleur, la fraude en entreprise – et son investigation – demeure encore un territoire trop peu connu et analysé. Les auteurs du livre présentement commenté proposent à cet égard moult informations et pistes intéressantes. Cette publication a pour intérêt d’ouvrir à la réflexion sur la place des fraudes en entreprise et les moyens de l’investiguer, répondant à certaines questions, tout en en soulevant d’autres.

Comme l’indiquent très justement les éditeurs en quatrième de couverture, « bien que basé sur le droit suisse », cet ouvrage – qui comme son titre ne le laisse pas présager, s’inscrit étrangement dans la collection « Sciences forensiques » des PPUR –, « pourra intéresser un public plus large dès lors que la fraude en entreprise est une réalité » – nous l’avons relevé au début de cette recension – « qui dépasse les frontières » et dont, nous permettons d’ajouter, l’investigation peut parfois être qualifiée de problématique[5].

VINCENT SERON
Université de Liège


[1] Le Maux, J., Smaili, N. et Ben Amar, W. (2013). De la fraude en gestion à la gestion de la fraude. Une revue de la littérature. Revue française de gestion, n° 231, 73.

[2] BDO (2018). Fraud Survey. Focus on Belgium.

[3] Cressey, D. R. (1986). Why Managers Commit Fraud. Australian & New Zealand Journal of Criminology, 19(4), 195-209.

[4] Cosson, J. (1979). Les grands escrocs en affaires. Paris : Seuil, 1 (cité par Kellens, G. (1986). Qu’as-tu fait de ton frère. Bruxelles : Mardaga, 133.

[5] Hassid, O. (2015). L’investigation en entreprise : une réalité avérée mais problématique en France. Sécurité et stratégie, 21(2), 1-2.

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