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L’impact de l’architecture carcérale sur le personnel des prisons

Par Philippe Bensimon
Aix-en-Provence : Délinquance, justice et autres questions de société. 2020. 134p.

Pourrait-on dire que ce texte est le testament professionnel de l’auteur ou son cri du cœur devant l’effondrement de ses illusions après avoir travaillé pendant 27 ans au Service correctionnel du Canada (dont 15 dans différents pénitenciers, et 12 en recherche opérationnelle à Ottawa)?

Je ne suis ni psychologue et encore moins psychiatre, par contre, je suis sensible à ce cri du cœur de la part d’un homme qui s’est investi corps et âme dans son travail afin d’utiliser ses connaissances au profit de ceux qu’il rencontrait dans ces institutions « totalitaires ». Il considérait ces hommes comme des personnes à part entière et tentait au mieux de ses capacités de les guider vers un avenir, un réel avenir. Mais la réalité l’a forcé à admettre que peu importe les efforts que l’on peut investir, la machine carcérale est la plus forte et détruit tous ceux qui s’y frottent, qu’ils soient détenus ou agents correctionnels (peu importe le grade).

À chaque phrase, dans ses paragraphes introductifs, Bensimon nous assène un coup de butoir, une vérité toute crue. Ça frappe où ça fait mal. Nous avons là un aperçu de ce qui va suivre.

Ainsi, il résume l’évolution du système carcéral en ces mots : « À chaque solution, de nouveaux problèmes » (p. 17-18).

Sa description des prisons provinciales est fort édifiante. En effet, sans entrer dans les détails, il est tout simplement possible de faire un parallèle avec le Rapport d’enquête du Protecteur du citoyen[1] publié, en novembre 1985, dans lequel il fait état des mêmes problèmes, dont celui de l’insalubrité des lieux.

Quant à la violence en prison, elle se manifeste différemment depuis les dernières années, celle-ci se reportant de plus en plus sur le personnel.

À propos de la situation dans les pénitenciers, elle n’est pas plus reluisante. Par exemple, les détenus analphabètes sont sans espoir d’amélioration de leurs compétences en vue de l’apprentissage d’un métier utile leur assurant une perspective d’avenir à leur libération. Concluant sa brève présentation des pénitenciers par une citation du Bureau du vérificateur général du Canada, « (…) manque total de vision organisationnelle et d’objectifs stratégiques en termes d’employabilité au sein du Service correctionnel du Canada et pas la moindre structure de gouvernance ni politique propre à l’emploi », Bensimon soulève l’épineux problème du vieillissement de la population carcéral et de la situation des personnes âgées au sein du SCC, le plus vieux détenu ayant 87 ans, et la plus vieille, seulement 79.

C’est après avoir brossé un tableau des plus désobligeant sur la situation que Bensimon aborde le cœur de son analyse, l’architecture des prisons, et note que « l’architecture carcérale n’est pas pensée ni conçue dans une optique gériatrique alors que l’usure des corps, la perte d’autonomie, la détérioration des cinq sens y sont beaucoup plus prégnantes que n’importe où au-delà des murs » (p. 29).

Il est fort intéressant de constater que Bensimon fait abondamment référence aux médias écrits et électroniques pour rendre compte de la situation qui prévaut dans les institutions carcérales du Canada, et des pénitenciers (SCC) en particulier, d’« une réalité que (l’administration) n’arrive plus à maîtriser en dehors des discours officiels battus à plate couture par les syndicats et les commissions d’enquête relayés à leur tour par les sonneurs d’alerte à travers les médias » (p. 61-62).

Toute l’indignation et la colère de Bensimon transparaissent dans les pages qu’il consacre à la nécessité d’avoir une architecture carcérale plus conforme aux principes d’humanisme et à l’objectif de réhabilitation (p. 64 et suivantes).

Son expérience unique et exceptionnelle au pavillon A d’un pénitencier à sécurité maximum lui a permis de passer de la théorie à la pratique, et de mettre en évidence que l’être humain, peu importe les crimes qu’il a commis, est sensible et peut acquérir « une confiance forgée dans le respect, la discipline, la dignité ». Cette expérience a pris fin avec un changement de direction, « la venue d’un croquignol sorti tout droit d’une boîte à surprise et qui trouvait anormal que dans une telle unité de condamnés à perpétuité il n’y ait jamais eu le moindre rapport d’offense (sanction) ni de mise au « trou ». Quelque chose clochait… » (p. 68).

Cet exemple ne lui pas permis de comprendre que l’on ne peut pas réformer le système de l’intérieur[2]. Il y a trop d’intérêts personnels et de groupes pour déclencher tout d’abord un début de réflexion, et ensuite pour permettre la mise en place de changements significatifs. Ne sont tolérés que des activités marginales, même si elles sont souvent très novatrices et surtout qu’elles ont un impact positif tant sur les détenus que le personnel, il est impossible de les intégrer dans la structure organisationnelle. C’est ainsi qu’une multitude d’initiatives ont été réalisées au cours des dernières décennies sans que celles-ci ne soient officiellement reconnues afin de devenir pérennes.

Fort critique de la façon dont fonctionne les institutions carcérales canadiennes, et tout comme Tony Ferri[3], il propose des réformes centrées sur la libération conditionnelle. Il en propose l’abolition pour les peines de moins de quatre (4) ans, et pour les peines supérieures, il situe le seuil d’une libération au 2/3 de la peine… (p. 71). Tout comme Ferri, il n’ose pas franchir la ligne qui lui permettrait d’aborder le fondement politique qui est à la base de l’institution carcérale. Ici on peut relever que la réflexion d’Althusser (1918 – 1990) est utile pour comprendre combien il est difficile de se départir de l’idéologie qui nous est inculquée par les appareils idéologiques d’État[4] dont la religion, l’école, la famille, le droit, le système politique, les syndicats, l’information, la culture font partie.

Éduqué idéologiquement au fait que le droit pénal, tel qu’il est dans ses fondements actuels, est construit au profit de la justice sociale, nous voyons que les mises en garde de Beccaria (1738 – 1794), particulièrement celles qui concernent le politique, ont été rapidement oubliées. Pensons à celle-ci : « Or plus on étendra la sphère des crimes, plus on en fera commettre, parce qu’on verra toujours les délits multiplier à mesure que les motifs de délits spécifiés par les lois seront plus nombreux, surtout si la plupart de ces lois ne sont que des privilèges, c’est-à-dire un tribut imposé à la masse de la nation, en faveur d’un petit nombre de seigneurs » (p.153)[5]. Pour illustrer cette constatation, notons que le vol à l’étalage, une action individuelle stricte, relève du Code criminel, et que la publicité trompeuse, une action individuelle dans un contexte commercial, relève de la Loi sur la concurrence : ainsi, selon qui vole qui, nous avons deux types de sanction, l’une criminelle, l’autre civile. Une version moderne de : « Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » (La Fontaine, Les animaux malades de la peste, 1678).

D’ailleurs, Casamayor (1979) note, dans sa Préface de Des délits et des peines, qu’« en deux siècles il s’est passé beaucoup de choses, mais l’état d’esprit a peu changé, et moins encore la vision qu’ont les citoyens de la société où ils vivent. Ils en applaudissent ou en déplorent les changements superficiels, parce qu’ils sont voyants, mais en profondeur font confiance aux idées reçus » (p. 5-6). Disons que ce n’est pas mon cas.

JEAN CLAUDE BERNHEIM
UNIVERSITE DE ST-BONIFACE, WINNIPEG


[1] Le respect des droits des personnes incarcérées, Québec, Protecteur du citoyen, 29 novembre 1985, 217p.; aussi Rapport du Protecteur du citoyen sur les services correctionnels du Québec, Québec, Protecteur du citoyen, janvier 1999, 70p. + annexes.

[2] Comme le souligne Peter Oliver (2003) dans sa brève biographie du réformiste James George Moylan (1826-1902), inspecteur des pénitenciers du Canada, de 1875 à 1895 : « sa carrière démontre – et peut-être est-ce la leçon ultime que l’on peut en tirer – qu’un seul individu, aussi stratégique que soit sa position, ne peut pas grand-chose contre un système ancré sur des piliers aussi solides que la parcimonie, le préjugé et l’apathie » (Moylan, James George, dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003 http://www.biographi.ca/fr/bio/moylan_james_george_13F.html )

[3] Tony Ferri, Abolir la prison : L’indispensable réforme pénale, Paris, Éditions Libre & Solidaire, 2018, 158 pages.

[4] Althusser, Louis (1969-70). Idéologie et appareils idéologiques d’État. Pensée 151;3-38,1970 juin. Aussi dans Positions, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 79-137; dans Sur la reproduction, Paris, PUF, 1995, p. 269-314.

[5] Beccaria, Cesare (1764/1766). Des Délits et des peines, traduction française par André Morellet, préface de Casamayor, introduction de Jean-Pierre Juillet, Paris, Flammarion Champs #53, 1979, 202p.

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