skip to Main Content

RCCJP – Volume 66.3

Négocier sa peine : enquête au cœur des négociations de plaidoyers de culpabilité

Par Chloé Leclerc et Elsa Euvrard
Presses de l’Université du Québec, Québec. 2023. 136 p.

« Although countless philosophers of law have devoted their careers to formulating principles of justice that protect persons accused of crime, few appear concerned about how the prevalence of plea bargaining blunts the impact of their principles in the real world[1]. »

– D. Husak

Dans Négocier sa peine, les professeures Chloé Leclerc (Université de Montréal) et Elsa Euvrard (Université Laval) font œuvre utile en braquant les projecteurs sur un domaine du droit pénal dont l’importance est paradoxalement inversement proportionnelle à l’attention qu’il reçoit : la négociation de plaidoyer. Alors que presque tous les yeux sont rivés sur la dynamique contradictoire et publique du procès, Leclerc et Euvrard rappellent que pas moins de 90 % des condamnations criminelles au Canada résultent d’un plaidoyer de culpabilité[2]. Dans la vaste majorité des cas, ces plaidoyers sont obtenus à la suite de discussions informelles qui se tiennent à l’abri des regards et qui ont beaucoup plus en commun avec le marchandage – d’où le nom anglais fort évocateur de plea barganing – qu’avec la recherche encadrée de la vérité qui caractérise le procès.

La négociation de plaidoyer se caractérise généralement par une ou plusieurs rencontres entre l’avocat de la défense et le procureur de la Couronne où se trouvent discutés, en l’absence de l’accusé, les avantages potentiels que ce dernier pourrait obtenir en échange d’un plaidoyer de culpabilité, c’est-à-dire d’un renoncement à la possibilité même de faire valoir son innocence. Même si la négociation peut parfois porter sur des aspects comme le retrait de chefs d’accusation ou la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, il demeure que c’est la peine qui se trouve le plus souvent au cœur des discussions, que ce soit dans le but d’en limiter la durée ou d’en modifier la forme (peine d’emprisonnement ferme, continu ou discontinu, avec sursis, probation, amende, etc.). D’où le titre du livre de Leclerc et Euvrard, qui identifie d’emblée l’objet de prédilection de la négociation de plaidoyer et le rôle décisif que cette dernière joue dans la détermination de la peine.

Dans un premier chapitre consacré au cadre juridique qui régit la détermination de la peine au Canada, les autrices rappellent à quel point la négociation de plaidoyer a pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire normalement dévolu aux juges en matière de peine : il est en effet bien établi que les ententes entre la défense et la poursuite doivent « être acceptées dans la très forte majorité des cas[3] », et ce, même lorsque la peine peut paraître exagérément clémente au juge. Dans l’arrêt Anthony-Cook[4], rendu en 2016, la Cour suprême du Canada a statué qu’une recommandation conjointe ne peut être refusée que lorsque la peine qui en découle « serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, ou serait par ailleurs contraire à l’intérêt public[5] », critère très exigeant qui nécessite de tenir compte de « l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement[6]. » Leclerc et Euvrard soulignent avec justesse que, depuis cet arrêt, le risque d’appel plus élevé auquel s’exposent les juges qui refusent d’entériner une suggestion commune a pu avoir pour effet de les dissuader davantage de s’opposer aux peines résultant d’une négociation de plaidoyer[7]. Même avant Anthony-Cook, cela dit, la déférence due aux ententes communes était déjà bien implantée.

La grande originalité du travail de Leclerc et Euvrard, outre que l’on ne trouve pas d’étude récente au Canada portant sur le phénomène de la négociation de plaidoyer considéré dans sa globalité[8], vient d’avoir fait le pari de s’intéresser directement à l’expérience et aux perceptions de deux des trois acteurs clés de la négociation de plaidoyer : les avocats de la défense et les personnes accusées. L’absence du point de vue des procureurs dans cet échantillon se justifie par l’habituelle réserve du ministère public lorsque vient le temps de commenter l’usage de son pouvoir discrétionnaire[9]. Pour mener à bien leur enquête, les chercheuses ont mené une série d’entrevues semi-dirigées avec 12 avocats de la défense (6 hommes et 6 femmes) qui ont participé à des négociations dans le passé et 22 accusés (18 hommes et 4 femmes) qui ont plaidé coupables à un ou plusieurs chefs d’accusation de gravité diverse. Tout au long du livre, des extraits des témoignages récoltés viennent éclairer les résultats d’un questionnaire rempli par 126 individus trouvés coupables de crimes (102 hommes et 24 femmes) et portant sur plusieurs facettes de leur expérience tout au long du processus qui, pour 91% d’entre eux[10], s’est soldé par un plaidoyer de culpabilité. Cette alternance entre le quantitatif et le qualitatif, c’est-à-dire entre les résultats statistiques du questionnaire et les extraits d’entrevues qui donnent à entendre directement la voix de personnes qui décrivent dans leurs mots leurs expériences du système pénal, rend l’ouvrage particulièrement pertinent et lumineux. Cette approche permet pour ainsi dire à des statistiques, qui autrement pourraient paraître abstraites ou désincarnées, de prendre vie.

Après avoir clarifié les contours de leur terrain de recherche au chapitre 2, les autrices s’intéressent aux perceptions des justiciables au chapitre 3 et plus précisément à leur degré de satisfaction non seulement par rapport au déroulement et au résultat des procédures, mais à l’ensemble des interactions humaines qui ont ponctué leur parcours avec les principaux acteurs du système de justice. Si une majorité des individus sondés se révèlent globalement satisfaits à l’égard de ces trois dimensions, il demeure qu’une portion importante des personnes interrogées se sont déclarés insatisfaites à l’égard du processus (46 %), du résultat (44 %) ou de leurs interactions (39 %)[11]. Dans la mesure où l’objectif déclaré des chercheuses est de se pencher sur les dimensions les plus problématiques de la négociation de plaidoyer, ce sont les personnes insatisfaites qui retiendront l’essentiel de leur attention dans la suite de l’ouvrage.

Même si les autrices ont le souci de traiter séparément chacun des objets d’insatisfaction, elles reconnaissent d’emblée que ceux-ci sont souvent interreliés[12]. En d’autres termes, les perceptions des justiciables n’évoluent pas en vase clos et l’insatisfaction envers une dimension peut conditionner l’insatisfaction à l’égard des autres et vice versa. On peut même penser que puisque les entrevues et le sondage ont eu lieu après la conclusion du processus pénal, les réponses fournies au sujet des deux autres dimensions ont pu être teintées par une forme de biais rétrospectif (hindsight bias)[13] : pour les répondants qui ont vu le processus se conclure positivement (par exemple par une peine clémente), il peut être tentant de reconstruire le passé en surestimant tout à coup ses aspects positifs. Inversement, pour les justiciables qui ont été déçus ou choqués par la peine imposée (en raison par exemple de sa sévérité excessive), il peut être tentant de percevoir tout ce qui a conduit à ce dénouement sous un jour plus sombre. Pour pouvoir vérifier ou infirmer cette hypothèse, les autrices auraient dû faire remplir un questionnaire par les mêmes justiciables à différentes étapes du processus (en amont et en aval du résultat), ce qui aurait évidemment posé d’importants défis méthodologiques.

En dépit du rôle incertain qu’a pu jouer le biais rétrospectif dans les réponses fournies, les données dévoilées par Leclerc et Euvrard n’en sont pas moins éclairantes à bien des égards. Ce qui nous a particulièrement frappé à la lecture du chapitre 3, c’est l’importance déterminante que semble avoir la relation avec l’avocat dans les perceptions qu’entretiennent les justiciables envers le déroulement des procédures. Quelles que soient les sources d’insatisfaction considérées, toutes sont de nature à varier significativement en fonction de la qualité du lien qui unit l’accusé à son représentant. Comme le soulignent pertinemment les autrices, l’insatisfaction à l’égard de la longueur des délais semble « grandement exacerbée par l’incompréhension des motifs de ces délais[14] », ce qui ultimement risque d’indiquer un problème de communication et donc de rejoindre la dimension interactionnelle. Du point de vue du justiciable, l’attente sera après tout d’autant plus frustrante que son avocat omet de lui transmettre les informations qui permettent de le comprendre, voire de la justifier sur la base de considérations stratégiques (par exemple l’espoir d’une meilleure offre de la poursuite). Le maintien d’un canal de communication actif semble du reste une variable décisive pour expliquer la satisfaction envers toutes les dimensions étudiées par Leclerc et Euvrard : comme elles le soulignent, les personnes satisfaites envers les trois dimensions ont été beaucoup moins nombreuses à déclarer avoir eu peu de contacts avec leur avocat (15 % contre 48 % pour les personnes insatisfaites à l’égard des trois dimensions)[15].

Si, comme l’affirment les autrices, les accusés qui se sont dits satisfaits à tous les niveaux se distinguent par « les contacts positifs et la confiance qu’ils ont envers[16] » leur avocat, il nous semble raisonnable de conclure que ces aspects relationnels ont aussi eu un impact non négligeable sur les deux autres sources principales d’insatisfaction constatées en ce qui a trait au déroulement des procédures : les sentiments d’opacité et d’exclusion. S’il est indéniable que l’absence de l’accusé des discussions qui se tiennent entre la défense et la poursuite est en soi de nature à contribuer à ces deux sentiments, il demeure que leur intensité variera nécessairement en fonction du lien qui unit l’accusé à son représentant. Plus l’avocat tient son client informé quant à ce qui se joue lors des négociations, plus la perception d’opacité s’amenuisera et moins le sentiment d’exclusion risque de susciter de l’insatisfaction et il va sans dire que plus la confiance envers l’avocat est grande, moins les zones résiduelles d’obscurité s’accompagneront d’un sentiment de perte de contrôle à l’égard du processus. Lorsqu’un justiciable sent dès le départ que son sort est entre bonnes mains, il risque d’autant plus de se sentir confortable avec la part importante de délégation épistémique qu’implique la négociation de plaidoyer (il faut dire qu’en raison de son expérience et de sa connaissance du droit applicable, l’avocat demeure généralement mieux placé que l’accusé pour tracer la ligne entre une offre acceptable ou une offre à rejeter, de même que pour estimer les chances d’acquittement ou de peine plus sévère en cas de refus de plaider coupable). Inversement, celui qui doute de la capacité de son avocat de le représenter adéquatement risque de vivre son exclusion du processus de négociation comme une menace directe à ses intérêts (n’étant pas là pour savoir exactement ce que dit son avocat en son absence). De la même façon, le manque d’informations quant à la nature des discussions avec la poursuite alimentera son scepticisme quant à la qualité de l’entente qui en ressort. Les autrices de Négocier sa peine se montrent tout à fait conscientes de l’« incidence importante[17] » de la perception de l’avocat sur les autres dimensions de l’expérience des justiciables. Même si cela n’atténue en rien l’intérêt général du chapitre 3, nous croyons qu’en apprendre davantage sur la force des corrélations statistiques à l’œuvre entre cette perception et les autres variables étudiées aurait pu enrichir l’analyse.

Dans les chapitres 4, 5 et 6 du livre, Leclerc et Euvrard vont au-delà de la question du degré de satisfaction des justiciables pour s’intéresser aux trois aspects de la négociation de plaidoyer qui sont les plus susceptibles de faire ombrage à l’idéal de justice. En s’attardant tour à tour à la faible transparence du processus, aux pressions systémiques qui peuvent influencer le choix des accusés de plaider coupable ainsi qu’à l’existence de certaines disparités entre les peines négociées, les autrices démontrent avec force, dans le sillage des propos de Douglas Husak cités en exergue du présent texte, le douloureux précipice qui sépare la pratique concrète de la négociation de plaidoyer des grands principes qui animent pourtant le droit en façade (présomption d’innocence, droit à une défense pleine et entière, droit à un procès juste et équitable, droit à l’assistance effective d’un avocat, caractère libre et volontaire du plaidoyer, égalité de tous devant la loi, etc.).

Si les négociations à huis clos peuvent sans conteste présenter certains avantages (permettre aux discussions de se mener à l’abri des émotions de l’accusé, minimiser le risque de déclarations de nature à affecter à la baisse les offres de la poursuite, etc.)[18], l’opacité qui en découle semble entretenir au moins deux types de problème : pour les avocats, tout d’abord, cette invisibilité peut paver la voie à un sentiment d’impunité susceptible de favoriser l’éclosion de pratiques professionnelles douteuses[19]. À cet égard, Leclerc et Euvrard font état de plusieurs allégations préoccupantes qui, si avérées, constitueraient de graves manquements déontologiques, voire dans certains cas des crimes[20]. Le deuxième type de problème tient à la légitimité perçue de la négociation : quand bien même les avocats seraient-ils irréprochables, l’obscurité qui entoure le processus de négociation semble en soi de nature à entretenir, particulièrement chez les justiciables qui doutent d’être bien représentés, des perceptions de manigances et de corruption[21]. À nos yeux, le grand mérite du chapitre 4 est de rappeler que la délégation épistémique qui est au fondement de la négociation de plaidoyer nécessite justement le maintien d’un lien de confiance élevé entre l’accusé et son avocat, lequel se construit au jour le jour grâce au professionnalisme dont fait preuve ce dernier (communication, écoute, investissement sincère dans le dossier, etc.). Or Leclerc et Euvrard démontrent de façon convaincante que la question du professionnalisme des avocats ne saurait se réduire à une simple question d’éthique du travail ou de compétence individuelle. Il s’agit en vérité d’un « problème structurel[22] », en ce sens que le maintien d’un degré élevé de professionnalisme est inséparable des conditions de travail qui le rendent possible. Plus le système juridique favorise la pratique à volume, par exemple, plus les avocats risquent d’être soumis à des contraintes temporelles qui, même avec la meilleure volonté du monde, aboutiront à un investissement minimal dans chaque dossier[23].

Outre le sous-financement des mandats d’aide juridique, les autrices font valoir que c’est leur structure tarifaire (une somme fixe et forfaitaire peu importe le mode de règlement) qui inciterait certains avocats à faire pression pour que leur client plaide coupable[24] ou à exiger une rémunération supplémentaire non déclarée pour compenser le temps nécessaire pour aller en procès[25]. À ce chapitre, comme c’est souvent le cas avec les ouvrages qui touchent à des aspects du droit qui évoluent rapidement, les informations rapportées par Leclerc et Euvrard ne sont malheureusement plus à jour, ce qui affaiblit quelque peu leur critique sans pour autant la vider de toute pertinence. Pour des raisons que l’on peut présumer liées aux inévitables longueurs du processus d’édition, il se trouve que le législateur a pour ainsi dire anticipé les critiques formulées dans le livre. En effet, le 25 août 2022, soit environ un an avant la sortie du livre, le législateur québécois a introduit une modification dans la structure tarifaire de l’aide juridique qui confère un léger avantage financier aux affaires qui se rendent en procès[26]. Qu’elles soient poursuivies par voie sommaire ou par mise en accusation, toutes les affaires qui nécessitent un procès s’accompagnent désormais d’une bonification des honoraires de l’avocat de 150 $. Si ce modeste supplément n’est certainement pas suffisant pour éliminer la tendance au règlement rapide d’une affaire par un plaidoyer de culpabilité, on peut néanmoins y voir un pas dans la bonne direction et une reconnaissance des effets néfastes de l’ancienne structure tarifaire dénoncée par Leclerc et Euvrard. Il convient de noter également que le législateur a élargi considérablement la liste des infractions qui bénéficient d’un mode de rémunération qui tient compte non seulement des périodes de préparation nécessaires au procès, mais aussi de la durée de celui-ci[27], ce qui va d’ailleurs dans le sens d’une recommandation faite par les autrices à la fin de l’ouvrage[28].

Le chapitre 5, qui porte sur la question des « faux » plaidoyers et des plaidoyers forcés, s’ouvre sur une statistique stupéfiante : pas moins de 43 % des personnes sondées par Leclerc et Euvrard (soit 55 individus) ont affirmé avoir déjà plaidé coupables à un ou des chefs pour lesquels ils se considéraient innocents[29]. Ce chiffre doit être nuancé en ce qu’il ne s’agit bien sûr que d’une perception d’innocence[30] et que le choix de plaider coupable peut tout de même découler de considérations stratégiques (l’entente globale avec la poursuite pouvant s’avérer plus avantageuse que la contestation de certains chefs dans le cadre d’un procès[31]). Cela dit, le simple fait qu’une fraction de ces personnes aient pu plaider coupable en raison d’un manque d’information[32], de pressions exercées par l’avocat[33], d’exagérations relatives au raccourcissement de peine résultant d’un plaidoyer de culpabilité[34] ou encore tout simplement pour mettre un terme à une détention provisoire[35] ou en finir avec des procédures financièrement et psychologiquement exténuantes[36] ; tout cela constitue en soi un motif de scandale. Il en va de même du phénomène des plaidoyers effectués sous contrainte qui se font dans la précipitation alors même qu’une meilleure offre aurait pu vraisemblablement être obtenue[37] ou qu’un plaidoyer de non-culpabilité aurait pu s’avérer une meilleure option[38]. L’exposé de Leclerc et Euvrard est à cet égard très convaincant.

L’intérêt du dernier chapitre du livre est de montrer que si les avantages associés au fait de plaider coupable sont généralement perçus comme légitimes par les justiciables[39], les disparités susceptibles d’exister au sein même des peines négociées demeurent une source de préoccupation sérieuse. Pas moins de 90 % des individus sondés par Leclerc et Euvrard se sont dits convaincus que la capacité financière des accusés influe directement sur la qualité de l’entente qu’ils obtiennent[40]. Bien que certains justiciables puissent avoir tendance à surestimer le pouvoir de l’argent[41], il semble difficile de soutenir que les contraintes qui s’exercent sur les avocats de l’aide juridique ou rémunérés par elle n’ont aucun effet sur le temps qu’ils sont en mesure de consacrer à leur cause et, ce faisant, sur le rapport de force qui les oppose à la poursuite. Après tout, c’est souvent le temps – un temps hélas qui se paye – qui permet à la défense de soupeser les chances de succès d’un moyen de défense, la force persuasive de certaines circonstances atténuantes[42] ou encore de découvrir des irrégularités dans l’obtention de la preuve susceptibles d’affaiblir, si ce n’est de compromettre, la cause de la poursuite. Ce facteur financier n’est sans doute pas étranger au fait que, selon les résultats de l’enquête, les avocats exerçant en pratique privée bénéficiaient d’un taux de satisfaction supérieur (75 %) à celui des avocats permanents de l’aide juridique (54 %) ou des avocats rémunérés par le biais d’un mandat de l’aide juridique (62 %)[43].

En conclusion de leur ouvrage qui s’impose comme un incontournable pour quiconque s’intéresse au rôle crucial de la négociation de plaidoyer dans la détermination de la peine, les professeures Leclerc et Euvrard y vont de plusieurs recommandations salutaires[44], notamment celle de contraindre la poursuite à transmettre une offre écrite à l’accusé (à l’instar de ce qui se fait en Colombie-Britannique)[45] ou encore celle de sensibiliser davantage les juges à l’importance de s’assurer de la validité des plaidoyers de culpabilité qu’ils acceptent[46]. Parmi toutes les recommandations faites, celle qui s’impose comme la plus pressante concerne sans doute l’octroi d’un meilleur financement à l’aide juridique et au système de justice en général[47]. Il est constitutionnellement inacceptable que le procès s’assimile à « un luxe que seuls les justiciables les mieux nantis ou en contact avec un juriste dévoué peuvent se permettre[48]. » Or s’assurer que le droit à un procès public et équitable (consacré aux articles 7 et 11d) de la Charte) ne relève pas du simple principe abstrait nécessite de veiller en amont à ce que la négociation de plaidoyer ne se réduise pas à un processus occulte où les droits des accusés peuvent dépérir dans l’indifférence générale. Même s’il y a lieu de craindre que le système de justice continuera d’être perçu comme un poste budgétaire parmi d’autres dans le panier déjà chargé de l’État-providence, on ne peut que savoir gré à Leclerc et Euvrard d’avoir su éclairer plusieurs des imperfections qui accablent la pratique contemporaine de la négociation de plaidoyer. Bien que cette mise en lumière ne saurait être garante d’une réforme immitente, elle n’en constitue pas moins la condition de possibilité de toute réforme future.

UGO GILBERT TREMBLAY
UNIVERSITE DE MONTREAL


[1] Douglas Husak (2008), Overcriminalization: The Limits of the Criminal Law, New York, Oxford University Press, 2008, p. 22.

[2] C. Leclerc et E. Euvrard (2023), p. 3.

[3] Ibid., p. 10.

[4] R. c. Anthony-Cook, [2016] 2 R.C.S. 204.

[5] Ibid., par. 5.

[6] Ibid., par. 34.

[7] C. Leclerc et E. Euvrard (2023), p. 11-12.

[8] Voir John F. Klein (1976), Let’s Make a Deal: Negotiating Justice, Toronto, Lexington Books, 1976 ; Richard V. Ericson et Patricia M. Baranek  (1982), The Ordering of Justice: A Study of Accused Persons as Dependants in the Criminal Process, Toronto, University of Toronto Press et Sylvie Gravel (1991), « La négociation des plaidoyers de culpabilité : une pratique hétérogène », Criminologie, vol. 24, n° 2, p. 5-29.

[9] C. Leclerc et E. Euvrard (2023), p. 23.

[10] Ibid., p. 28. Voir aussi p. 75.

[11] Ibid., p. 31.

[12] Ibid.

[13] Voir à ce sujet l’étude fondatrice de Baruch Fischhoff (1975), « Hindsight ≠ Foresight: The Effect of Outcome Knowledge on Judgment Under Uncertainty », Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, vol. 1, n° 3, p. 288-299.

[14] C. Leclerc et E. Euvrard (2023), p. 35.

[15] Ibid., p. 42.

[16] Ibid., p. 41.

[17] Ibid.,  37.

[18] Ibid., p. 43.

[19] Ibid., p. 50.

[20] Voir par exemple ibid., p. 34, 47-48, 55 et 87.

[21] Ibid.

[22] Ibid., p. 54.

[23] Ibid., p. 52-53.

[24] Ibid., p. 52.

[25] Ibid., p. 54.

[26] Entente du 4 décembre 2020 entre le ministre de la Justice et le Barreau du Québec concernant le tarif des honoraires et les débours des avocats rendant des services en matières criminelle et pénale et concernant la procédure de règlement des différends, chapitre A-14, r. 5.3, art. 25 à 27.

[27] Ibid., § 3.

[28] C. Leclerc et E. Euvrard (2023), p. 97.

[29] Ibid. p. 63. Parmi les personnes interrogées, c’est 50 % (11/22). Ibid., p. 25.

[30] Ibid., p. 64-65.

[31] Ibid., p. 66.

[32] Ibid., p. 69.

[33] Ibid., p. 72.

[34] Ibid., p. 85.

[35] Ibid., p. 71.

[36] Ibid., p. 66.

[37] Ibid., p. 76.

[38] Ibid., p. 78

[39] Ibid., p. 82.

[40] Ibid., p. 85.

[41] Ibid., p. 86.

[42] Ibid., p. 95.

[43] Ibid., p. 62.

[44] Ibid., p. 100.

[45] Ibid., p. 99.

[46] Ibid., p. 103.

[47] Ibid., p. 96.

[48] Ibid., p. 94.

Back To Top
×Close search
Rechercher