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RCCJP – Volume 63.4 (2021)

La crise d’octobre de 1970 : La grande alliance René Lévesque et Claude Ryan – Livre 1

Par Guy Lachapelle
Québec : Presses de l’Université Laval (PUL). 2020. 358 p.

Ce livre est rédigé par un politologue estimé au Québec et au Canada et qui s’est souvent penché de manière pénétrante sur la Crise d’octobre de 1970. Il reste l’un des grands connaisseurs. L’originalité de cet ouvrage est d’avoir mis l’accent sur l’alliance circonstancielle qui s’est forgée entre deux géants de l’Histoire du Québec qui allaient s’affronter lors du référendum sur la souveraineté en 1980.
Mais en 1970, les deux hommes défendaient des valeurs communes qui les amenaient vers les mêmes objectifs : protéger les libertés fondamentales, ne pas accepter que la solution à la crise de terrorisme soit imposée par Ottawa et envisager que la société québécoise devait changer, transformer ses structures désuètes.

En un sens, Claude Ryan et René Lévesque étaient complémentaires. Le premier maîtrisait le magistère de l’écrit. Le second était le communicateur verbal le plus éloquent de sa génération. Ryan représentait une certaine part du Québec traditionnel. Il était issu de l’Action catholique et professait un engagement social et altruiste chrétien. Lévesque, en revanche, avait pratiqué le journalisme international. Il voulait que le Québec se modernise, s’ouvre au monde et assume totalement ses décisions économiques et son destin politique. Ryan proposait un fédéralisme renouvelé, asymétrique, un statut particulier pour le Québec. Le projet de René Lévesque allait plus loin dans le réaménagement : il voyait le Québec en possession de tous ses principaux leviers mais dans un partenariat avec le reste du Canada.

Face à eux se trouvait la « froide logique » de Pierre Trudeau, comme l’écrit en plein cœur de la crise de 1970 l’ex-éditorialiste du Devoir Jean-Marc Léger, dans une superbe lettre adressée à son ancien confrère Ryan. Pour Jean-Marc Léger, Pierre Trudeau ferme la porte à toute réforme consistante de la Constitution canadienne et surtout à la perspective d’un statut particulier pour le Québec car il est, selon Léger, « le théoricien que rien ne peut distraire de son échafaudage juridique ». Disons-le clairement : la richesse de ce livre tient beaucoup aux lettres adressées durant la tourmente à René Lévesque et Claude Ryan et que le politologue Guy Lachapelle a patiemment colligées et nous présente de manière analytique. On trouve des lettres fort étonnantes.

Ainsi le poète Gaston Miron, fraîchement sorti de prison après une détention de dix jours et demi, relit les journaux des derniers jours et d’un peu avant. Il rappelle combien ses vues et celles de Claude Ryan avaient divergé depuis une décennie. « Je t’ai maudit parfois », écrit-il. Or, précise Gaston Miron « je viens de lire tes éditoriaux. Tout à coup j’oublie ce qui nous sépare, je te serre la main : tu as été, au cours des événements que nous avons vécus, que nous continuons de vivre, le plus digne des éditorialistes ».

Les échanges les plus durs se produisent entre Claude Ryan et ses ex-confrères de la profession journalistique. Ainsi Gérard Filion, glorieux prédécesseur de Claude Ryan comme directeur du Devoir, pilier de la lutte contre le pouvoir duplessiste et grand artisan de la Révolution tranquille, n’apprécie pas du tout les positions prises par le journal durant la Crise d’octobre. Il le fait savoir dans une lettre directement adressée à Claude Ryan mais non destinée à paraître en tribune libre.

Gérard Filion tient rigueur à Claude Ryan, son successeur à la tête de ce journal influent, d’avoir douté de la sincérité de Robert Bourassa. Dans son discours diffusé à partir de l’hôtel Reine-Élizabeth, tout juste au lendemain de l’enlèvement du ministre Pierre Laporte, le chef du gouvernement laissait entendre qu’il était prêt à négocier. « Vous mettez en doute sa bonne foi », écrit Filion à Ryan, « en affirmant qu’il a peut-être délibérément induit la population en erreur en laissant croire, il y a une semaine, qu’il favorisait une ligne plus souple ».

Gérard Filion critique même Claude Ryan pour son argumentation reposant sur la présomption que la crise pouvait être dénouée par la négociation. Aux yeux de Gérard Filion, cela est loin d’être démontré. Il s’appuie sur les déclarations de Me Robert Demers, le négociateur nommé par Robert Bourassa, qui disait constater une impasse.

« Qu’après trois jours de négociations infructueuses sur un préalable aussi essentiel (Filion parle ici de la vie de Laporte), M. Bourassa ait jugé le moment venu de durcir sa position, c’est explicable: le fondé de pouvoir du gouvernement avait peut-être acquis la certitude que Pierre Laporte ne serait jamais rendu vivant ». L’on voit ici que Gérard Filion se refuse à croire que Robert Bourassa a trompé la population en jouant sur l’équivoque. Il blâme plutôt Ryan de l’affirmer sans preuve.

Gérard Filion monte aussi au créneau contre le reproche fait par Claude Ryan à Robert Bourassa « de subordonner son gouvernement à celui de M. Trudeau ». Devant le débordement des forces policières, l’insécurité des citoyens, la nécessité de poursuivre les criminels et de « contrôler les têtes chaudes qui menaçaient de descendre dans la rue » écrit Filion, « à quels recours auriez-vous fait appel si vous aviez été premier ministre ? Les corps de majorettes ? Les zouaves pontificaux ? ».

Gérard Filion retrouve ici la veine ironique qui le caractérisait souvent comme directeur du Devoir, surtout quand il conclut avec un brin de condescendance : « Votre article du 17 octobre fait partie des mauvais articles que tout journaliste ne manque pas d’écrire au cours de sa carrière ». Claude Ryan va répliquer avec toute la force de son information d’initié : « L’Histoire révélera que monsieur Bourassa penchait personnellement vers une solution négociée mais que, ne pouvant convaincre ses collègues à ce sujet, il opta le dimanche soir 11 octobre, pour une déclaration qui restait « délibérément ambiguë » … Il évitait de déplaire aux autorités de la ville de Montréal et du gouvernement fédéral ainsi qu’à ceux qui le pressaient d’opter pour une ligne plus souple ».

Par ailleurs, l’on trouve intéressant par ailleurs de lire la lettre de Roger Lemelin, grand romancier et président-éditeur de la Presse, au moment où la page éditoriale de La Presse s’était faite pendant la crise le relais de la raison d’État. Le passage où Lemelin décrit les ravisseurs de Laporte, peu après leur arrestation, va faire sursauter les criminologues : « de minables délinquants qui ont atteint le stade de meurtre, et qui eurent de toute façon, été des délinquants dans n’importe que milieu ».  Ce type de délinquant, selon Lemelin, « est à la recherche d’une motivation supérieure pour réhabiliter à ses yeux son déséquilibre ». La suite nous montrera une réalité plus complexe et que la motivation des felquistes de 1970 était principalement politique et en réaction contre le système.

Une autre lettre marquante est celle du journaliste du Montreal Star Dominique Clift. Le chroniqueur respecté trouve étrange que directeur du Devoir fonde ses opinions éditoriales « sur des consultations avec des personnes en autorité ou qui aspirent à l’être ». Au fond, selon Clift, le Devoir se tient près du pouvoir pour en faire la chronique. Clift, qui a une conception plus distanciée du journalisme, reproche à Ryan sa fascination pour le pouvoir. C’est elle, aux yeux de Clift, qui a prêté flanc aux soupçons de vouloir former un gouvernement parallèle, que les faucons du cabinet Trudeau se sont fait un plaisir d’accréditer. « On ne doit jamais trop savoir » poursuit Clift, « si on a affaire au directeur du Devoir, à un confident du pouvoir ou encore à un citoyen inquiet ». Mon regretté confrère Jean-V Dufresne formulait cela de manière lapidaire : « Claude Ryan est un courtier en pouvoir ».

Pendant la Crise d’octobre, Ryan a tenu ses lecteurs informés des tactiques de Robert Bourassa et l’on doit s’en réjouir.  Ryan parlait souvent avec René Lévesque avec lequel il a su faire alliance dans quelques grands moments pour défendre la vie des otages, les droits fondamentaux et les libertés démocratiques. Pour la durée d’une crise, ce fut une magnifique alliance comme l’auteur Guy Lachapelle nous le démontre de manière captivante.

MARC LAURENDEAU
UNIVERSITE DE MONTREAL

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