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RCCJP – Volume 63.2 (2021)

La crise d’Octobre 1970 au Québec. Entre la raison et la manipulation.

Par Bernard Dagenais
Québec : Les Presses de l’Université Laval. (2020). 312 p.

« La crise d’Octobre 1970 au Québec », le titre du livre de Bernard Dagenais, est cet événement socio-politique de nature terroriste qui a eu lieu en particulier à Montréal et autour en octobre 1970, il y a donc 50 ans, précisément. Lors de ce 50e anniversaire, plusieurs livres sur le sujet ont été publiés et plusieurs documentaires audio-visuels ont été présentés au grand public de septembre à décembre 2020.

Bernard Dagenais est professeur au Département d’information et de communication de l’Université Laval à Québec. Ce Département est en fait une École de journalisme. Il est l’auteur d’une douzaine (12) de livres et de plusieurs articles scientifiques sur les communications.

Le livre que nous recensons est précisément son dernier livre et l’un des nombreux livres et documents de 2020 sur la crise d’Octobre 1970. Toutefois, ce livre a la particularité d’analyser cet événement historique traumatique avec une hypothèse différente des autres livres et documents. En effet, le sous-titre du livre l’indique bien: « raison » ou « manipulation », nous dit l’auteur. En fait, Bernard Dagenais, se pose la question suivante: cet événement a-t-il servi surtout aux partis politiques du Canada, du Québec et de Montréal, en particulier aux dirigeants politiques de l’époque, tels que le Premier ministre du Canada, Pierre Trudeau, le Premier ministre du Québec, Robert Bourassa et le Maire de Montréal, Jean Drapeau ? Leurs décisions de faire intervenir à Montréal et ailleurs au Québec l’Armée canadienne à cette occasion et de faire emprisonner plus de 400 citoyens québécois qui par la suite ont été libérés sans être accusés de quoi que ce soit, étaient-elles justifiées ? De là l’hypothèse de l’auteur du livre au sujet d’une « manipulation inacceptable de nature politique », selon sa propre conclusion. Cette conclusion est évidemment à débattre mais le lecteur sera en mesure à notre avis de tracer sa propre opinion après lecture du livre, compte tenu que les arguments de l’auteur sont bien présentés et se prêtent à une telle interrogation de citoyen.

L’ouvrage de Bernard Dagenais, disons-le tout de go, est un « ouvrage passionnant » sur cet enlèvement sans précédent dans l’histoire du Québec et même du Canada tout entier. Résumons donc cet événement. Il y a 50 ans, lorsque le 5 octobre 1970 à Montréal le Front de libération du Québec (FLQ) enlève le diplomate britannique James Richard Cross et demande la libération de prisonniers politiques, c’est la surprise générale. D’autant plus que, quelques jours après, un second enlèvement frappe de nouveau le Québec, celui d’un Ministre important du Gouvernement du Québec, Pierre Laporte. Celui-ci sera d’ailleurs assassiné par les ravisseurs dans les jours qui suivront. Le FLQ provoque alors une crise dont se servit le Gouvernement fédéral, en invoquant une loi canadienne, celle des « Mesures de guerre », pour jeter en prison ces 400 personnes qui, sans être reliées aux événements, étaient toutes engagées dans des luttes citoyennes légitimes en démocratie. Pour tous ceux qui ont suivi les événements, les médias constituèrent leur principale source d’information. C’est par ceux-ci que chacun a pris connaissance du déroulement des faits et gestes des acteurs de la crise, et, selon l’expression de l’auteur, « du déchaînement de haine et de mensonge, d’appel à la vengeance et au lynchage provenant d’intervenants de tous les milieux ». Et Bernard Dagenais de terminer avec justesse: « On constate que le vernis de la civilisation s’estompe rapidement en temps de crise ».

Comme le souligne l’auteur en conclusion: « Après 50 ans, ce drame qui a secoué le Québec s’installe dans l’oubli. La société a cicatrisé ses plaies. Plus une seule bombe n’a été posée depuis 1970 au Québec si l’on excepte celles que la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) a essaimées pour faire croire que le spectre de la violence existait toujours » (p. 280). La crise d’Octobre 1970 est devenue un élément d’histoire. Mais il faut se rappeler qu’une vingtaine d’individus, animés de la foi révolutionnaire, ont tenu en haleine toute une société pendant des semaines, d’une part à cause de leur détermination, mais aussi parce que le geste qu’ils avaient posé, l’idéologie qu’ils véhiculaient, la cause qu’ils défendaient étaient soutenus par une partie de la population. Le Québec sa bat depuis deux siècles au sein du grand ensemble canadien. Cette quête d’identité a été marquée de nombreuses luttes. La crise d’Octobre 1970 sera considérée comme une étape du long cheminement d’un peuple en quête d’identité.

Pendant les événements d’Octobre 1970, la majorité des gens se sont interrogés sur les conséquences de la violence dans une société industrialisée. Certains ont aussi partagé le sens de la lutte aigue que des Québécois livraient pour conquérir leur dignité. Et d’autres ont refusé de prendre en considération l’exaspération continue que criaient poètes et intellectuels depuis des années. Une chose est claire, selon l’auteur Bernard Dagenais : « La crise d’Octobre 1970 a pacifié la violence au Québec. Alors que des manifestations violentes se sont déroulées au Québec à un rythme continu entre les années 60 et 70, à l’exception du saccage de la Baie James en 1974 par la Fédération des Travailleurs du Québec (FTQ), la paix sociale s’est instaurée au Québec et perdure encore. Le sacrifice humain de Pierre Laporte aura apaisé la colère des hommes » (p. 281).

Tout compte fait, le livre de Bernard Dagenais est un « tour de force » en ce sens que l’auteur défend avec brio la thèse de la manipulation des événements d’Octobre 1970 avec clarté. Sans être d’accord nécessairement avec la démonstration de l’auteur à ce sujet, force est de reconnaître que cette démonstration est « remarquable ».

ANDRÉ NORMANDEAU
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

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