RCCJP – Volume 66.3
Flic à la bac nord
Par Sébastien Soulé avec Christelle Marquès
Paris: City Éditions. 2024. 235 p.
Les professionnels et les universitaires dans le domaine de la justice pénale et de la criminologie sont souvent tentés de laisser de côté et d’ignorer les livres publiés par des praticiens du domaine, que ce soit: des policiers, des juristes auprès des tribunaux, des membres du personnel des prisons, y incluant des agents de probation et de libération conditionnelle. Sans oublier les quelques livres écrits par des délinquants et des victimes d’actes criminels.
Un mauvais choix à mon avis car plusieurs livres de cet acabit sont des témoignages fort intéressants et fort pertinents pour comprendre de l’intérieur les dessous de la vie personnelle et professionnelle de ces individus ainsi que des organisations de justice pénale où ils travaillent ou ont déjà travaillé.
Il en est ainsi du livre que nous recensons par la présente, à savoir le livre de Sébastien Soulé, avec l’aide d’une journaliste de talent, Christelle Marquès. Ces livres de type témoignage sont souvent d’ailleurs co-écrit ou même complètement écrit par un ou une journaliste à partir des témoignages enregistrés sur cassette et sur vidéo, ce qui n’enlève par la valeur d’un document de type biographie, loin de là, mais ajoute même à la qualité des témoignages de par la qualité précisément de la langue utilisée.
Dans le cas de Sébastien Soulé, il s’agit d’un policier français au moment où il travaillait à Marseille, la seconde ville en importance en France. Le terme « flic », dans le titre du livre, est toujours utilisé en France dans le jargon populaire pour désigner un policier ou un gendarme, quelques fois de façon amicale mais souvent de façon péjorative. Si le titre mentionne également « à la bac nord », c’est que Sébastien Soulé travaillait au moment des principaux évènements décrits par le livre « à la bac nord » de Marseille, soit à « la brigade anti-criminalité » (bac) d’un quartier « nord » de la ville, un quartier difficile pour les policiers car habité par des citoyens largement défavorisés sur le plan économique et où la « drogue dure » circulait et circule toujours largement dans le dit quartier. Cette brigade était constituée de policiers aguerris et spécialisés dans les interventions hautement délicates et dangereuses en matière de prévention et de répression du trafic de drogue. Comme le mentionne l’éditeur du livre: « Il est logique que le brigadier Sébastien Soulé rejoigne le bac nord au début des années 2000, car c’est un policier décoré, exemplaire et très bien noté ». Sa carrière, sa réputation et celles de ses collègues ont basculé lorsque le scandale a éclaté en 2012 et … durera jusqu’en 2022. Selon la couverture médiatique de l’époque, « ces flics seraient des ripoux, poursuivis pour trafic de drogue et racket ». Le terme « ripoux », comme on le sait, fait référence à la corruption de certains policiers, de « mauvais policiers » dira-t-on en langage populaire.
En 2012, Sébastien Soulé et treize de ses collègues seront accusés de trafic. Soulé lui-même et quelques-uns des collègues accusés se retrouveront en « garde à vue » (en détention provisoire) pendant trois mois en prison, dans une prison située entre Marseille et Aix-en-Provence, la prison de Luynes. Par coïncidence, je connais personnellement cette prison. En effet, à quelques occasions par le passé j’ai été invité à l’Institut de sciences pénales et de criminologie (ISPEC) de l’Université d’Aix-Marseille et j’ai fait quelques séjours « évidemment professionnels » dans cette prison.
Il faudra dix ans pour que Sébastien Soulé soir finalement innocenté. Dix longues années qui ont broyé et détruit en partie sa vie, même s’il s’en est relevé avec une résilience remarquable. Dans ce livre il raconte tout de cette affaire très médiatisée et de sa descente aux enfers. « Un témoignage exceptionnel, une vérité brutale, violente, et terriblement humaine », dira-t-on.
Ajoutons que son témoignage a inspiré le film « Bac Nord » de Cédric Jimenez, diffusé en 2022.
Tout compte fait, je dis ceci: J’ai lu au travers de ma carrière de criminologue à l’Université de Montréal une vingtaine de biographies de policiers et de membres du personnel pénitentiaire. « Jamais », je n’ai lu un témoignage aussi « bouleversant » que celui de Sébastien Soulé. « Sans flagorneries ni flatteries inutiles », j’affirme que ce témoignage est tout simplement « exemplaire et remarquable ». Je suis « élogieux mais sans être complaisant », me semble-t-il.
ANDRÉ NORMANDEAU
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL