RCCJP – Volume 67.1
Femmes passe-murailles : écrits et voix de prison
Simon Harel, Mira Missirian et Valentina Pancaldi (Sous la direction)
Québec : Presses de l’Université Laval. 2024. 402 p.
Le collectif à l’origine de ce volume donne la parole à plusieurs autrices d’origine nationale diverse (Égypte, France, Italie, Québec), sociales et culturelles distinctes (enseignantes, journaliste, écrivaine, artiste, militante politique), d’époques différentes s’échelonnant de la seconde guerre mondiale à l’époque contemporaine à propos de prisons italienne, allemande, égyptienne, mexicaine et québécoise.
À propos des autrices, il faut distinguer celles qui ont rédigé les chapitres de celles qui sont l’objet de ceux-ci. En effet, ce sont des universitaires, une dramaturge et une metteuse en scène qui donnent accès à des autrices qui ont vécu la prison dans leur chaire, à l’exception des voix québécoises qui clament leur indignation sans intermédiaire.
À ces écrits de prison s’ajoute un volet inattendu, un projet de recherche création intitulé « J’ai hâte de recommencer à rêver » : témoignages oniriques et itinéraires sensoriels. Ce texte de Mira Missirian et Valentina Pancaldi rend compte d’une démarche réalisée durant la COVID-19 qui devait d’abord s’effectuée à la prison Leclerc mais qui a dû avoir lieu à la maison de transition Thérèse-Casgrain à Montréal, un milieu très différent. Créer un espace « Théâtre sonore et voix de femmes judiciarisées » pour ensuite aborder « L’intimité du rêve » n’est pas simple dans un cadre où les femmes judiciarisées sont dans un processus de retour graduel à la vie libre. Le compte rendu nous permet de d’effleurer la perte de liberté telle quelle est vécue et ressentie par des femmes confrontées à une semi-liberté et un semi-emprisonnement.
L’approche féministe permet de saisir comment la prison s’immisce dans les pores de la peau, envahit le cerveau et engendre le processus de survie. Selon la personnalité, la lutte et l’adaptation à la prison vont se manifester et se moduler au contexte carcéral. Celles qui ont laissé des traces écrites avaient la capacité d’intellectualiser leur expérience de vie avant d’être incarcérées. L’emprisonnement a ainsi été l’occasion saisie pour décrire les affres de la prison, l’oppression dont les femmes sont victimes à cause de leur sexe, ainsi que leur volonté de réagir, de résister et finalement de dénoncer.
La qualité de ces écrits est indéniable tout comme les comptes rendus qui nous sont présentés. Les « commentatrices » contextualisent les écrits dans le cadre de la guerre, de la contestation politique, de la société dans laquelle évolue l’écrivaine, et les enrichissent par des analyses judicieuses. On a pu craindre des redondances mais heureusement ce n’est pas le cas. Chaque texte nous incite à une réflexion utile.
Je m’en voudrais de ne pas signaler « Sarrazine, le cas d’un spectacle pour dire l’enferment et l’émancipation par la création d’une femme, Albertine Sarrazin », dont le Journal de Fresne m’avait marqué dans les années 1970. La pièce Sarrazine, écrite par Julie Rossello Rochet, et mise en scène par Amandine Livet en collaboration avec Lucie Rébéré en 2019 en France, est présentée avec suffisamment de détails pour inciter une troupe de théâtre québécois à se l’approprier.
Chacun des chapitres est autonome et indépendant, par contre, il faut souligner quelques irritants. Le premier texte est en italien …, et il y en a trois autres en anglais, évidemment ça peut-être décevant pour les unilingues francophones. Un autre élément étonnant, le chapitre rédigé par Simon Harel, qui fait 86 pages, dans lequel il explique de long en large sa démarche personnelle à propos de la prison et dans lequel il ose dénoncer l’indicible. Il a le courage de mettre sa tête sur le billot. Peut-être a-t-il raison quand il écrit : « vous en avez assez […] que je parle à la place des femmes judiciarisées de la Maison de transition » (p. 314).
JEAN CLAUDE BERNHEIM
EXPERT EN CRIMINOLOGIE – QUÉBEC