Renaître – Oser vivre après une tragédie
Par Monique Lépine
Québec : Éditions Saphir. 2019. 164 p.
« Le 6 décembre 1989, peu après 16h, Marc Lépine, s’introduit à l’École Polytechnique de Montréal. L’homme de 25 ans armé, entre dans une classe et sépare les filles des garçons. Il abat quatorze femmes, dont treize étudiantes et une secrétaire et fait 14 blessés, dont dix femmes. Il se suicide ensuite, laissant une lettre dans laquelle il explique son acte par des motifs antiféministes. Suivant cet événement tragique, le Parlement du Canada, en 1991, a décrété la journée du 6 décembre la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes. »…
« En revenant du travail, le soir du 6 décembre 1989, Monique Lépine allume son téléviseur pour écouter les nouvelles. Un tireur fou venait de tuer 14 jeunes filles et blessé plusieurs autres avant de s’enlever la vie. Abasourdie et bouleversée par cette nouvelle, cette femme a demandé à ce qu’on prie pour la mère de ce jeune homme. Le lendemain de ce drame, des policiers lui annoncent que l’auteur de cette tragédie était son fils. Sept ans après le 6 décembre 1989, la tuerie de Polytechnique a fait une autre victime collatérale en la personne de Nadia Gharbi, la sœur de Marc Lépine. Incapable de surmonter cette épreuve, elle se suicide d’une overdose de cocaïne. »…
« Découlant de cette tragédie de la Polytechnique, une importante souffrance a été vécue par les familles des victimes, mais aussi pour Monique Lépine, la mère du tueur en deuil de son fils. Suivant cette journée, la plus meurtrière de l’histoire du Canada, l’auteur du crime se suicide, condamnant sa mère, Monique Lépine, à l’horreur de ses gestes et à une longue descente aux enfers. »
Comment survivre à une telle tragédie? Dans un livre paru en 2008 sous la plume d’Harold Gagné et intitulé Vivre, Monique Lépine se révèle et décrit les conséquences des événements du 6 décembre 1989 pour elle et sa famille. Sous sa plume, Renaître (2019) est un partage spirituel personnel de la mère du tueur de la fusillade la plus meurtrière au Canada. Ce livre de 164 pages est un témoignage touchant de style biographique, qui résume avec détails le cheminement personnel de la mère du contrevenant. Si l’introduction revient essentiellement sur l’événement du 6 décembre 1989, le reste du livre présente, à travers 12 sections, les différentes épreuves que cette femme a dû traverser au cours de son processus de guérison qui durera 17 ans. Tous les sujets abordés avec le lecteur le sont en rapport avec la perte de ses deux enfants et touchent la souffrance et les émotions avec lesquelles elle luttait, en plus de la culpabilité, colère, honte et peur ressenties (p. 43).
L’histoire de Monique Lépine est l’histoire des victimes collatérales de la criminalité. Cette population est négligée et souvent oubliée par le système de justice (Condry, 2013; May, 2000; Howart et Rock, 2000; Light, 2007), ce qui se reflète d’ailleurs tout au long du livre. Plusieurs écrits sur le sujet sont d’avis que les proches de personnes ayant commis un crime grave vivent des conséquences importantes de la criminalité de leur proche (Charland-Finaldi, 2018; Condry, 2013; Howarth et Rock, 2000; Rock, 1998).
Dans ce témoignage, l’auteure fait le tour de plusieurs enjeux auxquels les proches des contrevenants sont souvent confrontés après avoir vécu un crime commis par un de leurs proches. Par exemple, les conséquences psychologiques et les changements de comportement (Condry, 2013; Light et Campbell, 2007; Codd, 2013; Howarth et Rock, 2000) sont souvent importants. Tout comme la protagoniste, les victimes collatérales vivent différentes émotions à la suite de l’acte criminel, telles que la culpabilité, la honte, la colère, la peur et la perte de vie privée (Charland-Finaldi, 2018; Condry, 2013; Howart et Rock, 2000; May, 2000). De telles émotions se manifestent avec plus ou moins d’acuité sur le plan individuel.
Dans son témoignage, Lépine souligne l’impact du stigma négatif face au geste commis par son fils lorsqu’elle écrit que « [l]a honte vient du regard que les autres portent sur nous. Après le drame survenu à l’École Polytechnique de Montréal, je n’avais qu’une réaction : me cacher » (p. 52).
Ce partage émouvant de 164 pages est une des rares publications qui met en lumière ce stigma négatif vécu par les proches de contrevenants. Ce groupe de personnes se culpabilise et elles sont souvent aux prises avec un sentiment de responsabilité face à un crime qu’elles n’ont jamais commis (Condry, 2013; Howart et Rock, 2000; May, 2000). En outre, cette culpabilisation peut être imposée par les autres, Monique Lépine demande au lecteur à la page 52, « [c]omment pensez-vous qu’on puisse se sentir lorsqu’elle lit ce commentaire d’une journaliste connue : Quelle sorte de mère cela prend-il pour mettre au monde un tel monstre! ». Les proches de contrevenants ne se sentent pas victimes du délit, mais ils se sentent victimes des réactions des autres (Charland-Finaldi, 2018) et se voilent souvent pour ne pas avoir à affronter le regard des autres; la honte habite souvent ces victimes.
De nos jours, bien que certains individus comme cette femme vivent de nombreuses souffrances et préjudices découlant d’un crime qu’ils n’ont jamais commis, ils demeurent une population négligée. Ils vivent des souffrances importantes relativement aux crimes commis par leurs proches et, à ce sujet, leurs démarches s’inscrivent en termes d’information, d’aide, de reconnaissance des droits et de leurs besoins socioaffectifs (Charland-Finaldi, 2018).
Cependant, aucun service ni système d’aide et de soutien ne leur sont octroyés, bien que ces personnes vivent aussi des souffrances et des conséquences découlant du crime. Le partage de Monique Lépine est une preuve vivante de ce manque de ressources disponibles à leur endroit. Rappelons que cette dernière avait demandé de l’aide auprès des services d’aide aux victimes, mais ne fut pas éligible, car elle était la mère du tueur : « […] J’ai appris que j’appartenais à cette dernière catégorie, la délaissée, celle qui m’est pas reconnue par l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) » (p. 84). Tout comme Monique Lépine, les proches se voient négligés non seulement par les services en justice pénale, mais surtout par leurs concitoyens (Charland-Finaldi, 2018).
Les proches de personnes ayant commis un crime grave ont aussi besoin de se sentir supportés émotionnellement et socialement (Charland-Finaldi, 2018; Condry 2013). Les proches des contrevenants ont besoin de revendiquer leur souffrance, mais le sentiment de honte et de culpabilité d’avoir un proche criminalisé les en empêche (Charland-Finaldi, 2018; Condry, 2013). En effet, le besoin de se sentir soutenu par les autres semble avoir un effet positif dans le processus de guérison des victimes (Cyr et Wemmers, 2011). Certains écrits vont même soutenir que ce groupe a aussi besoin de protection sur le plan de la vie privée, mais aussi un besoin de protection à l’égard du bien-être des enfants, surtout lors de la médiatisation du crime (Charland-Finaldi, 2018).
L’essence du partage de Monique Lépine nous fait comprendre que grâce à son alliance à un groupe d’appartenance, il est possible, en adoptant une démarche personnelle, de surmonter l’impossible. Dans le cas de cette femme, la foi en Dieu et la religion ont transformé ces situations négatives en quelque chose d’utile dans sa vie, soit d’aider d’autres personnes qui souffrent en silence. Ce livre rend le lecteur plus conscient des souffrances vécues par les proches de contrevenants et de la nécessité de faire preuve de finesse et de jugement à leur endroit.
L’apport le plus frappant de ce livre se trouve vers la fin, soit en découvrant les plus de 380 apparitions publiques, ainsi que les nombreux témoignages de diverses personnes côtoyées. L’ouvrage donne la possibilité au lecteur de découvrir les nombreuses conférences et partages que cette femme a donnés durant les dernières années, et cela démontre aussi son processus d’autonomisation par lequel elle a repris le contrôle sur sa vie. Cette biographie montre à quel point il est capital d’adopter une démarche personnelle si l’on veut surmonter les peines et les souffrances engendrées par les crimes commis par un proche.
Voilà un magnifique plaidoyer pro domo pour accroître la prise en compte des souffrances vécues par les proches de contrevenants, mais aussi des réactions des autres à leur égard. Il s’agit donc d’un livre très riche et original qui fait le tour de thèmes importants chez ce groupe de victimes cachées, comme la honte, la culpabilité, la colère, la peur, le stigma et le processus de guérison. Ce n’est qu’en découvrant la variété des souffrances et conséquences vécues par cette femme qu’on peut prendre toute la mesure des limites du soutien et de l’aide pour cette population. J’ai apprécié le fait que l’auteure relève que le seul et unique pouvoir de son processus de guérison fut la foi.
Il existe un effort continu pour souligner l’importance de faire preuve de jugement à l’existence et à la prise en compte d’importantes souffrances vécues par les proches de contrevenants ayant commis un crime grave. Les réactions de la société ajoutent à leurs souffrances liées au crime commis par leur proche. Ces constats ne sont pas banals. Si la civilité d’une société se reflète par la façon dont elle vient en aide aux personnes vulnérables, qu’est-ce que la souffrance des proches dit de nous? Un indice qui peut définir une société est la façon dont elle vient en aide aux personnes qui connaissent des souffrances importantes. Ainsi, sommes-nous en train de créer d’autres victimes? Au lieu de blâmer ou même d’ignorer le bien-être de ces personnes qui, clairement, vivent des souffrances, il faudrait changer nos perceptions face à ce groupe afin de les aider. Merci pour ce partage, je conseille cette lecture bienveillante à tous.
FÉLICIA FINALDI-CHARLAND
CRIMINOLOGUE
Bibliographie
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