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Une justice coloniale. Le système juridique canadien et les Autochtones.
Témoignage d’un procureur de la Couronne dans l’Arctique canadien

Par Pierre Rousseau
Laval, Québec : Les Presses de l’Université Laval (PUL). 2019. 284 p.

Le lecteur d’une œuvre n’est jamais neutre parce que celui ou celle qui s’engage à comprendre ce qu’un auteur a voulu communiquer, est toujours partagé entre son point de vue sur le sujet et la vision nouvelle, inédite, qui s’offre à son regard.  Qu’en est-il de celle du livre de Pierre Rousseau? Vous serez à même d’en juger en lisant cette recension d’autant plus que l’auteur établit dès le départ que « ceux qui recherchent l’objectivité pourront la trouver ailleurs » (p. xix) que dans son livre.

Tout d’abord, j’estime nécessaire de mentionner que Pierre Rousseau est un ex-procureur de la Couronne qui a œuvré comme tel de 1977 à 1992, pour ensuite travailler au sein d’organismes de l’État traitant de Justice en milieu autochtone. Cette précision mérite d’être soulignée parce qu’il n’est pas banal qu’un représentant de l’État ose, sur la base de son expérience personnelle sur le terrain et non à partir d’une recherche « scientifique », mettre en cause les principes sur lesquels le système de justice pénale canadien fonctionne.

Dans le chapitre un, Rousseau montre « L’échec du système juridique canadien envers les peuples autochtones ». Il en examine les rouages, au regard des traditions autochtones, en commençant par la police, pour ensuite aborder les tribunaux et finalement les sanctions punitives. Nous nous attarderons sur ce dernier aspect par rapport à la violence familiale et conjugale « endémique ». Comme le système de Justice est caractérisé par sa lenteur lorsque la peine est prononcée, souvent l’emprisonnement qui ajoute du temps à la durée de l’affaire, compromettant les efforts que la communauté avait consacrés « pour réparer les torts et ramener l’harmonie au sein de la famille et du village ». De plus, pour la communauté, « l’emprisonnement ne pouvait plus aider la famille autrement qu’en éloignant l’époux (ce qui représente en quelque sorte une forme moderne de bannissement) et, dans bien des cas, le système judiciaire rouvrait les plaies, exacerbait les problèmes et alimentait la violence plutôt qu’il ne la décourageait » (p. 97 et 98).

Dans le chapitre 2 intitulé « Gestion de crise », Rousseau soulève des aberrations dans la gestion du système de Justice. Par exemple, l’unilinguisme anglophone du système fait en sorte que les agents de l’État ne comprennent pas ni les victimes, ni les témoins, et doivent passer par l’intermédiaire d’interprètes qui transcrivent les déclarations. Rousseau a « vite compris que ces déclarations représentaient plutôt la compréhension de l’enquêteur plutôt que ce que le témoin avait dit » (p. 126).

Face à cette dramatique réalité, « vers la fin des années 1980, les Territoires-du-Nord-Ouest (TNO) ont développé un programme qui a produit un groupe d’interprètes très bien formés ainsi que du matériel de formation » (p. 128). Mais « en 1994, le nouveau gouvernement fédéral, dans son infinie sagesse, a décidé de couper les fonds transférés aux TNO, ce qui a eu un impact désastreux sur l’interprétation judiciaire et la formation des interprètes » (p. 134). Que dire de plus, sinon que le principe d’une Justice égale pour tous a encore une fois été bafouée.

Dans le troisième chapitre « Les tentatives d’adaptation et d’accommodements », l’auteur décrit la mise en place des Comité de justice dans des communautés autochtones, comme mesure de déjudiciarisation, malgré une certaine résistance. Mais le plus surprenant a été de constater que « plusieurs accusés préféraient aller en prison plutôt que d’affronter les gens de leur collectivité et de perdre la face; ils savaient que la prison ne serait qu’un intermède dans leur vie, qu’ils pourraient revenir dans leurs villages en prétendant qu’ils avaient ²payé leur dette² à la société, sans avoir à reconnaître leur responsabilité pour les gestes qu’ils avaient commis » (p. 150).

Parmi ses exemples, Rousseau cite les propos du juge R. Paul Belzil, de la Cour d’appel des TNO, que l’on pourrait qualifiés d’abolitionnistes, à propos des méthodes traditionnelles autochtones de règlement des différents :
« La méthode traditionnelle de s’occuper d’un délinquant était de l’obliger à faire face aux ainés, allant même jusqu’à le priver de nourriture ou d’autres commodités jusqu’à ce qu’il démontre l’intention de changer pour le mieux, pour ensuite lui fournir des conseils continuels jusqu’à ce qu’on le considère réhabilité. La preuve démontre que ce traitement a atteint le but de ce que doit être toute punition pour un crime, c’est-à-dire la protection de la collectivité et la réhabilitation du délinquant. Cela avait le bénéfice additionnel de réconcilier la victime et le délinquant, un concept qui n’est maintenant proposé dans notre société que par quelques criminologues » (p. 162).

Malheureusement, les collègues du juge Belzil ont rejeté son approche communautaire pour consolider « l’approche ethnocentrique du système judiciaire étatique » (p. 163).

Dans le chapitre suivant, l’auteur nous fait part des expériences appliquées dans des communautés autochtones hors Canada comme celles qui prévalent, par exemple, aux États-Unis, en Amérique latine et au Groenland. Il termine ce 4e chapitre en montrant comment la « désinvolture inexplicable face aux problèmes très graves que cause toujours le système judiciaire dans ses rapports avec le peuples autochtones », a été déterminante lors de la naissance du Nunavut, en 1999, faisant en sorte de rater une occasion de « créer un nouveau système qui répondrait mieux aux besoins de la majorité inuite du nouveau territoire » (p. 210-2011 et 209).

Rappelons que les traditions juridiques autochtones, passées et contemporaines, ont pour « but de régler les différends, réduire les conflits et conserver autant que possible l’harmonie et la cohésion sociale dans leurs collectivités » (p. 185) et pour que ces traditions puissent prévaloir, il faut nécessairement passer une reconnaissance réelle des droits des autochtones ainsi qu’une décolonisation des pratiques étatiques qui « impliquerait nécessairement, pour la société dominante, de renoncer à imposer son système juridique aux peuples autochtones, d’accepter le pluralisme juridique et de reconnaître aux peuples autochtones le droit de rétablir leurs lois et leurs propres systèmes juridiques de règlements des différends » (p. 221).

Mais se pose la question : Comment revenir en arrière dans un monde qui change constamment? Ne serait-il pas mieux d’envisager de réintroduire des principes de collaboration dans un contexte contemporain caractérisé par un certain individualisme?

À n’en pas douter, l’analyse de Pierre Rousseau est une critique radicale à la fois du système de Justice pénale et criminelle et de l’emprisonnement. Qui aurait cru qu’une telle approche émanerait d’un praticien, à savoir un ex-procureur de la Couronne plutôt que d’un criminologue rattaché à une institution universitaire. Une critique qui pourrait être reprise en son entièreté et dont ne saurait rougir un abolitionniste.

Ainsi, une réflexion à partir du système de Justice autochtone pourrait (devrait) mener à une réforme (révolution) du système judiciaire canadien qui viserait « l’harmonie et la paix sociale » en humanisant les rapports sociaux tout en visant à résoudre les conflits.

JEAN CLAUDE BERNHEIM
UNIVERSITE DE SAINT-BONIFACE

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