skip to Main Content

RCCJP – Volume 65.3 (2023)

La science au service de la pratique : Enquêtes, procès et justice, Vol 2.

Vincent Denault (Sous la direction de)
Montréal : Éditions Yvon Blais. 2022. 487 p.

« Et ensuite vous êtes allés dans la maison d’à côté ? » demanda l’avocat au témoin se tenant devant lui. La réponse vint rapidement : « Et ensuite, je suis immédiatement allé à côté, oui ». Cependant, le témoin aurait également pu simplement répliquer par « Oui », tout en faisant passer la même information. Son style langagier aurait alors été bien différent, et cela n’est pas si anodin dans le contexte judiciaire. En effet, dans les années 70, des travaux menés en psycholinguistiques ont montré que le style de langage employé, par exemple, par un témoin lors d’un procès pouvait influencer la perception, entre autres, de sa crédibilité et de sa position sociale, pouvant alors avoir des retombées sur le processus judiciaire (e.g., Erickson, Lind, Johnson & O’Barr, 1977). Cette influence du style langagier s’étend mêmes aux conséquences judiciaires, comme la gravité des faits perçus et les peines encourues pour les personnes accusées.

Depuis ces travaux, plusieurs décennies se sont écoulées, et la science à fait de nombreuses avancées. Parmi l’ensemble des connaissances scientifiques générées, certaines pourraient être utiles aux professionnels de la justice et pourraient les aider dans leur pratique. Toutefois, ce savoir reste souvent bien difficile d’accès et peu intelligible pour les professionnels quel que soit leur domaine. Il y a alors une réelle nécessité pour rendre ces travaux scientifiques plus accessibles et plus compréhensibles au plus grand nombre, tels que les professionnels de la justice. Tel est l’objectif de cet ouvrage collectif initié par Vincent Denault, avocat et docteur en communication.

La structure de l’ouvrage suit le déroulement du processus judiciaire, abordant les enjeux qui peuvent émerger avant, pendant et après le procès. L’ouvrage est divisé en trois parties principales, chacune d’elle comprenant plusieurs chapitres. Chaque chapitre débute par la présentation des connaissances actuelles d’un thème, avant d’apporter des recommandations aux professionnels du système judiciaire.

La première partie se concentre sur les enjeux d’avant procès, en abordant ceux relatifs à la période de l’enquête et ceux liés à l’accessibilité du système judiciaire. Le premier chapitre, rédigé par Samuel Demarchi, fait le point sur l’identification des criminels à l’aide des parades d’identification. Il conclut en appelant à la prudence quant à la présentation des parades d’identification devant les tribunaux. Dans le second chapitre, Hugues Delmas, Samuel Demarchi et François Jouen examinent la question de la détection du mensonge à l’aide des informations vérifiables. Les auteurs synthétisent les données de trois méta-analyses conduites sur ce thème. Cette partie sur l’avant procès se clôture par un troisième chapitre de Michèle Diotte. Il porte sur les problématiques d’accessibilité du système de justice pénale pour les individus souffrant d’un handicap cognitif. La prise en compte de leurs spécificités contribuerait à davantage humaniser le système de justice.

La seconde partie de l’ouvrage se penche sur la phase du procès. Dans un premier temps, les enjeux liés aux différentes cultures ainsi que l’impact des préjugés au sein des procès sont présentés. Marie-Pierre Bousquet explore notamment les codes de conduites chez les premières nations. Dans ce quatrième chapitre, Bousquet conseille les acteurs du système judiciaire de se renseigner sur l’histoire de ces peuples afin de contribuer à instaurer à plus grande équité dans le système de justice. Dans le cinquième chapitre, Marie-Pier Plouffe-Demers, Marie-Claude Desjardins, Camille Saumure et Caroline Bais discutent des différences culturelles et ethniques dans la communication non verbale émotionnelle. Les auteurs présentent la manière dont ces différences peuvent entraver le bon fonctionnement du système judiciaire. Dans le sixième chapitre, Isabelle Charbonneau, Vicki Ledrou-Paquet, Pierre-Louis Audette et Daniel Fiset se penchent sur la perception des visages qui comporte de nombreux biais, notamment des effets liés à l’origine ethnique. Les auteurs proposent des pistes afin d’aider les professionnels à surmonter les préjugés associés.

Ensuite, les considérations liées à l’âge sont explorées dans trois chapitres. Dans le septième chapitre, Victoria Talwar décortique le phénomène du mensonge chez les enfants, en se penchant sur leurs motivations ou leurs compréhensions de la tromperie. Ces connaissances ont, par exemple, des implications importantes pour une prise en compte adéquate de leurs témoignages. Après l’enfance, se profile l’adolescence, qui engendre son lot de problématiques. L’une d’entre d’elles, discutée par Jean-Sébastien Fallu dans le huitième chapitre, concerne la consommation de drogue. Il encourage les acteurs du système de justice à s’appuyer sur les dernières avancées scientifiques pour une approche éclairée des substances illicites. Enfin, Marie-Hélène Pennestri, Marjolaine Chicoine et Emilie Lannes présentent de manière approfondie la littérature sur le sommeil. Cela permet de mieux comprendre son rôle dans la structuration de notre vie quotidienne et de son influence sur les prises de décisions, si délicates dans le système judiciaire. Les auteurs concluent ce neuvième chapitre sur le fait que « L’avenir n’appartient […] pas nécessairement aux professionnels de la justice qui se lèvent tôt, mais à ceux qui priorisent leur sommeil ! » (p. 244).

Les enjeux liés aux preuves et aux experts sont ensuite présentés. Dans le dixième chapitre, Laura Bastida et Olivier Dodier expliquent le fonctionnement de la mémoire et la manière dont ces connaissances peuvent être utilisées pour une meilleure prise en compte des témoignages. Le chapitre d’après ne se concentre non plus sur l’humain mais sur les aspects techniques, en particulier les traces laissées. L’auteur, Maxime Bérubé, définit la notion de trace numérique puis expose les défis qui y sont associés. Dans le douzième chapitre, Karine Poitras, Amélie De Serres-Lafontaine et Claire Baudry développent la notion de capacité parentale, qui apparait essentielle pour les professionnels du droit souhaitant offrir aux familles un accompagnement juridique le plus adapté possible.

Les trois chapitres suivants abordent des enjeux spécifiques liés à certaines professions. Annie Gendron, Bruno Poulin, Sébastien Poirier, et Maxime Laroche mènent, dans le treizième chapitre, une analyse de l’utilisation de la force dite mortelle par les policiers. Comme le souligne les auteurs, l’usage d’une arme à feu engendre inévitablement d’importantes conséquences. Celles-ci sont aujourd’hui amplifiés par la médiatisation accrue due aux techniques de communications actuelles. Ainsi, les forces de l’ordre doivent être pleinement préparées en ce qui concerne leur usage. De plus, lorsque qu’une personne est, par exemple, blessée par l’utilisation d’une telle arme, une enquête indépendante sur l’intervention policière est menée. Dans ce contexte, les policiers visés peuvent rencontrer des problématiques psychologiques, qui sont détaillées par Andrée-Ann Deschênes, Annie Gendron, Marie-France Marin et Maxime Laroche dans le quatorzième chapitre. Enfin, Christian Rochefort offre une vue d’ensemble de la littérature portant sur l’organisation des services infirmiers, fournissant des informations précieuses pour éclairer les professionnels sur les implications et les ramifications médico-légales.

Après ces nombreuses thématiques présentées lors de la phase du procès, vient le temps de l’après-procès, accompagné de ses propres enjeux. Cette troisième partie de l’ouvrage aborde les enjeux liés aux sentences et aux perceptions. Le seizième chapitre, écrit par Anta Niang, Chloé Leclerc et Benoit Testé présentent une définition de la notion de peine ainsi que leurs objectifs. Ensuite, dans le dix-septième chapitre, Marie-Pier Verner et François Courcy, apportent un nouveau regard sur les réalités de la violence. Les auteurs mettent notamment en avant les capacités de mentalisation – capacité à identifier ses propres états mentaux ainsi que ceux d’autrui – comme un facteur clés dans la prévention des comportements violents. Pour finir, dans le dix-huitième et dernier chapitre, David Grondin expose la façon dont les séries télévisées forgent une représentation médiatique du travail policier et judiciaire auprès du grand public. De manière tout à fait innovante, l’auteur proposent d’utiliser ces séries comme des supports pédagogiques ou des outils de réflexion sur la justice pénale.

Tout comme le premier volume, cet ouvrage contribue à rendre les connaissances scientifiques plus accessibles pour les professionnels. Des chercheurs issus de diverses spécialisations s’efforcent de rendre leur domaine de prédilection le plus compréhensible possible et pour le plus grand nombre. Également, des praticiens issus de différents milieux, comme de l’Hôpital en santé mentale de Rivière-des-Prairies ou de l’École nationale de police du Québec, ont contribué à la rédaction de cet ouvrage. Cette collaboration entre les chercheurs et les praticiens permet de combler l’écart entre le monde académique et celui du terrain. Les passerelles établies contribuent au rapprochement de ces deux univers et au renforcement du système judiciaire.

HUGUES DELMAS
UNIVERSITÉ SORBONNE PARIS NORD

Back To Top
×Close search
Rechercher