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RCCJP – Volume 65.3 (2023)

La quérulence : Quand le droit et la psychiatrie se rencontrent

Par Sylvette Guillemard et Benjamin Lévy.
Québec : Les Presses de l’Université Laval (PUL). 2023. 154 p.

Le sous-titre de ce petit livre le dit bien. Il s’agit d’une rencontre entre le droit et la psychiatrie par deux auteurs qui représentent précisément ces deux disciplines, soit:
# 1 – Sylvette Guillemard, juriste et professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval à Québec. Elle a obtenu son doctorat en droit à Paris II, Panthéon-Assas.
# 2 – Benjamin Lévy, psychologue et professeur à l’École des psychologues praticiens de Paris. Il a obtenu son doctorat en psychopathologie et psychanalyse à Paris VII, Diderot.

Je dis « un petit livre » de 154 pages mais en fait il s’agit d’un « grand-petit livre » fort bien documenté et fort intéressant sur un sujet rarement abordé en droit et en criminologie (au sens large).

Comme on le rappelle en introduction de ce livre, le dictionnaire Larousse définit la « quérulence » comme une « tendance exagérée à la recherche d’une réparation de dommages imaginaires ». Le dictionnaire Robert pour sa part la décrit comme une « tendance pathologique à rechercher les querelles et à revendiquer d’une manière hors de proportion avec la cause, la réparation d’un préjudice subi, réel ou imaginaire ». Tirés de dictionnaires français, ces définitions confortent la thèse, développée justement par Guillemard et Lévy, selon laquelle les mondes germanique et francophone ont d’abord appréhendé la quérulence sous l’angle médical, c’est-à-dire comme une pathologie. D’aucuns l’associeront à une forme de « paranoïa », de « délire de persécution » ou de « délire de grandeur », d’autres à un « délire de revendication ». En Angleterre et dans les pays de « common law » comme le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande …, la « quérulence » a surtout mené à une « approche juridique du problème » par la sanction des « plaideurs vexatoires », ou « trop belliqueux ». Par pragmatisme, le droit a ainsi cherché à contenir les ardeurs des « plaideurs en série » et des « procéduriers à l’extrême » en limitant leur accès aux tribunaux sans pour autant « pathologiser l’individu ». C’est d’ailleurs l’approche principalement retenue par le législateur québécois et canadien. Par un riche parcours qui puise au droit comparé, les auteurs font très bien ressortir les traits caractéristiques des personnes quérulentes – majoritairement des hommes, observent-ils – pour qui « le prétoire est un théâtre où ils doivent tenir le premier rôle » (p. XIV).

Cet ouvrage entend donc cerner « qui sont les quérulents ». Des calamités pour les juges, des cas d’école pour les psychiatres, ou simplement des citoyens imbus de leur bon droit, pénétrés de la conviction qu’ils ont raison tandis que le monde entier a tort. L’amour sans borne de la chose judiciaire dont ils témoignent se traduit par des amoncellements de procédures et des accumulations de démarches qui encombrent les tribunaux, nous disent les auteurs. L’un engage des procédures par dizaines, un deuxième poursuit jusqu’au premier ministre de son pays, une autre multiplie quinze années durant les recours contre ses frères et sœurs qu’elle accuse de l’avoir spoliée de sa part d’héritage. Le droit s’efforce de réguler les difficultés occasionnent ces quérulents. La psychiatrie par ailleurs se propose de décrire les ressorts de leur étrange manie judiciaire.

Ce livre de Guillemard et Lévy permet donc au juriste et au criminologue de mieux comprendre le phénomène que les cours de droit pénal, en particulier, et de criminologie en général, ne traitent pas à mon avis de façon convenable, faute de connaissances appropriées à ce sujet.

La conclusion de la Préface « remarquable » du Juge Christian Brunelle, Juge à la Cour du Québec, est pertinente. Il écrit: « Somme toute, par un savant alliage de leurs connaissances érudites du droit et de la psychiatrie, Sylvette Guillemard et Benjamin Lévy démystifient le phénomène de la quérulence, en identifient les origines, les manifestations, les causes et les effets et ouvrent ainsi des voies de réflexions à la fois novatrices et pragmatiques. Il convient de saluer cette mise en commun de leurs expertises respectives. Elle pourrait bien inspirer une jurisprudence thérapeutique » (p. XVI).

Tout compte fait, voilà un livre fort utile aux étudiants et aux professionnels de la justice, autant civile que pénale. Un « bon livre » sans aucun doute, comme on dit, autant pour les juristes que pour les criminologues.

Note / Une annexe littéraire « originale et substantielle » en page 125 à 154 mérite l’attention du lecteur. Intitulée: « La folie des procès dans quelques œuvres de fiction », les auteurs nous rappellent que la littérature a beaucoup à nous enseigner. N’étant jamais déconnectée des circonstances historiques de son émergence, elle agit comme un miroir grossissant de ce qu’une époque considère être un désir de justice excessif.  Les auteurs nous présentent alors deux exemples que près de vingt siècles séparent l’un de l’autre avec « Les guêpes » de l’auteur grec Aristophane (v. 445-385 avant J. C.) et « Les plaideurs » de l’auteur français Jean Racine (1639-1699): autant dans leur différence que dans les points communs qu’on y trouve avec l’époque actuelle.

ANDRÉ NORMANDEAU
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

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