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RCCJP – Volume 65.4

De la police scientifique à la traçologie : Le renseignement par la trace

Par Olivier Ribaux
Lausanne : EPFL Press. 2023. 578 p.

Olivier Ribaux est un des piliers de l’École des sciences criminelles de l’Université de Lausanne, la première institution universitaire au monde à offrir une formation sur la police scientifique. Il est notamment connu et reconnu à travers le monde pour sa contribution à l’intégration de la science forensique aux pratiques policières contemporaines. Il a récemment solidifié sa position par la publication d’un ouvrage colossal, De la police scientifique à la traçologie : Le renseignement par la trace. Ribaux ne cache pas son ambition d’influencer les générations futures de chercheurs en adoptant une approche pédagogique claire : bien que les chapitres ne soient pas courts, ils sont rédigés de façon à être accessibles et terminent tous par une série de questions visant à susciter le débat. Ribaux démontre une très grande culture générale, de laquelle il est possible de développer la nôtre, ses exemples allant de la fondation de l’École de criminologie de Berkeley au Sherlock Holmes de Conan Doyle, en passant par des exemples de cas suisses, français, canadiens, espagnols, britanniques, australiens et américains. De plus, les chapitres sont plutôt indépendants les uns des autres, de sorte qu’il s’agit plus d’un ouvrage de référence auquel on peut retourner qu’un ouvrage qu’on doit lire d’un trait. J’oserais même avancer que l’ouvrage est une sorte de manuel introductif à « l’école de Lausanne », plus près du travail épistémologique sur une discipline que d’un guide pratique de la police scientifique. L’ouvrage compte plus de 500 pages de texte ; cette recension ne prétend donc pas être exhaustive, mais fait plutôt quelques remarques qui, je l’espère, inciterons des lecteurs potentiels à consulter l’ouvrage.

Il s’agit en fait de la deuxième édition de l’ouvrage, la première datant de 2014. Pourtant, il ne s’agit pas d’une simple réédition du même manuscrit, qui aurait été mise à jour de façon quasi-cosmétique. Au contraire, au moins trois éléments distinguent cette édition de la première. D’abord, l’ouvrage est résolument moderne sans être un manuel « technique » sur la police scientifique – les ouvrages techniques sont de toute façon susceptibles d’arriver à péremption dès le développement d’une nouvelle technique ou l’apparition d’un nouveau logiciel susceptibles de changer les façons de faire, ce qui n’est pas le cas présent. L’ouvrage vise à resituer la science forensique dans l’éventail des ressources policières disponibles ; la première édition notait sans ambiguïté que la science forensique était assez peu utile dans la quête d’identification des auteurs, mais qu’elle pouvait être un appui considérable lors de la construction du dossier criminel. La deuxième édition promeut aussi une position a priori étonnante : Ribaux plaide à plusieurs reprises pour le généralisme des forensiciens, une position qui va à l’encontre du courant ultraspécialisé qui est pourtant la norme dans le domaine. Il l’évoque clairement dans la conclusion de la première partie de l’ouvrage lorsqu’il discute du mouvement vers la spécialisation qui a pour conséquence de créer un ensemble de sous-disciplines qui tendent à oublier leur origine commune (p.190). Pour bien diffuser ces idées, l’auteur et son éditeur ont pris soin d’offrir l’ouvrage en libre accès, ce qui vise à en faciliter l’accès.

Ensuite, l’ouvrage recense non pas une mise à jour mais plutôt l’évolution des connaissances sur la forensique. Ainsi, comme pour la première édition, l’ouvrage prend comme point de départ le cas du tueur d’animaux, qui a eu un retentissement assez important en Suisse en 2005, notamment parce qu’après des mois d’enquête, la science forensique a démontré qu’il n’y avait pas de tueur. La deuxième édition rapporte une redite de 2020 en France, ce qui a pour effet de montrer avec éloquence qu’on n’apprend pas toujours des erreurs des autres, mais aussi que la contribution de la science forensique ne doit pas être prise pour acquis. Il s’agit d’une justification puissante de la réédition. Le titre même de l’ouvrage, qui diffère de celui de la première édition, intègre un terme qui est appelé à prendre en importance : la traçologie. Ribaux montre ainsi que le domaine est en évolution et qu’il en a tenu compte.
Justement, qu’est-ce que la traçologie? À strictement parler, il s’agit de l’étude (ou de la science) des traces. Un certain flou entoure la définition de ces dernières : même si toute la deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à la définition du terme, Ribaux lui-même reste vague et se contente d’utiliser le terme comme synonyme de marque que laisse l’activité humaine, à la façon de Locard. Les traces peuvent donc être « concrètes », comme les cheveux, les liquides corporels et autres, ou « virtuelles », comme les discussions en ligne et les géolocalisations. Ribaux en profite pour intégrer la troisième distinction d’avec la première édition, et se demande si la science forensique est arrivée à se constituer en tant que discipline ou si elle reste une application de sciences fondamentales, comme la chimie et la physique. Dans la première édition, il se contentait de souligner l’existence d’un domaine en émergence (la police scientifique) tandis qu’ici, il s’interroge sur le développement d’une nouvelle discipline (la traçologie).

La « nouvelle édition » du livre de Ribaux se distingue passablement de la précédente : la première comptait 10 chapitres en plus de la mise en contexte (elle-même un chapitre sans le sous-titre) divisés en deux parties, tandis que la nouvelle compte 13 chapitres et la mise en contexte bonifiée, divisés en trois parties. Après des préfaces signées par les mêmes auteurs émérites (Pierre Margot et Maurice Cusson), le jeu des ressemblances s’arrête dès la fin de la première partie, sur la « Crise d’identité de la police scientifique », qui porte sur la même thématique que dans la première édition, malgré un redécoupage de deux chapitres en trois et l’ajout d’une cinquantaine de pages de texte. Ribaux a intégré de nouvelles notions aux deux parties suivantes, ce qui a eu pour conséquence l’ajout d’une centaine de pages de texte mais surtout, l’élargissement des horizons du livre. Plutôt que de se limiter en bonne partie à la délinquance sérielle, ses arguments portent maintenant sur un ensemble de déviances, portant entre autres sur la fraude documentaire, la tricherie sportive et la criminalité à l’encontre de l’environnement. Les deux dernières parties sont aussi plus optimistes que l’était la partie ultime de l’édition de 2014, qui s’intitulait d’ailleurs « Reconstruire la police scientifique », puisqu’elles vont vers l’intégration des principes scientifiques dans le travail policier. Bref, on sent que Ribaux croit que la traçologie est là pour rester, même si son histoire est cahoteuse et que la discipline n’est pas complètement établie.

En résumé, suivant les volontés de l’auteur, je recommande la lecture du nouvel ouvrage d’Olivier Ribaux en particulier à ceux qui envisagent une carrière dans le domaine et à tous ceux qui, comme moi, comprennent que la traçologie souligne de nouveau l’aspect multidisciplinaire de la criminologie : il s’agit d’une discipline qui s’intègre à la perfection à l’avancement des connaissances sur le phénomène criminel, même si elle semble au premier abord fondamentalement différent. Après tout, le crime laisse avant tout des traces sur la société… Je recommanderais aussi la lecture de cet ouvrage de façon plus générale à ceux qui s’intéressent à la philosophie des sciences, puisque l’exposé de Ribaux sur des notions complexes comme l’abduction et le théorème de Bayes est souvent d’une clarté exemplaire.

RÉMI BOIVIN
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

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